Une nouvelle loi de mémoire qui maintient l’impunité pour les crimes de Franco

jeudi 17 février 2022, par Pascual

Quatre ans après l’arrivée au pouvoir de Pedro Sánchez et des socialistes. Une nouvelle loi de mémoire qui maintient l’impunité pour les crimes de Franco

Mise en place à partir de 1978, la Transition « démocratique » n’a pas répondu aux espoirs de vérité et de justice des Espagnols. Les gouvernements successifs ont transformé la Mémoire en « démémoire », en ouvrant la voie à l’institutionnalisation de l’impunité.
La lutte pour la justice demeure la tâche des familles et des amis des victimes qui forment un réseau de résistance à travers de nombreuses associations. Elles continueront à dénoncer et à exiger la politique publique pour honorer ceux qui ont combattu pour la liberté et contre la chape de silence que la société tente d’imposer.
Le gouvernement a ratifié la loi d’amnistie qui assimile les assassins franquistes aux victimes de la dictature. Le PSOE et Unidas Podemos ont convenu, par le biais d’un amendement au projet de loi, de ratifier la loi d’amnistie de 1977, qui empêche la poursuite des crimes de la dictature franquiste.

Des promesses d’un secrétaire d’État au maintien de l’impunité pour les tortionnaires du régime franquiste

Nous sommes loin des promesses de Fernando Martínez, le secrétaire d’État à la mémoire qui, le 9 février 2019 au Père Lachaise, répondant à une invitation de l’association 24 août 1944 et de la mairie de Paris, nous annonçait qu’en matière de mémoire historique nous allions voir ce que nous allions voir.
Force est de constater que les socialistes au pouvoir depuis 4 ans, ne peuvent pas obtenir le nombre de votes nécessaires pour adopter la loi de la mémoire démocratique telle qu’elle est actuellement proposée.

Fernando Martínez au Père Lachaise de Paris

Ils n’ont pas le soutien des parlementaires ni du mouvement mémorialiste et ils admettent qu’aucun calendrier n’a pu être fixé pour la convocation d’une conférence gouvernementale. Le PSOE, le Parti socialiste a opté pour le gel du traitement de la loi sur la mémoire jusqu’à obtenir un soutien pour garantir son approbation.
Le gouvernement a admis que le projet de loi « n’est pas d’abroger ou de rendre inefficace la loi d’amnistie de 1977, mais bien le contraire, car ce qu’il fait, c’est ratifier sa validité et réaffirmer qu’elle doit être interprétée conformément aux traités internationaux ».
Les deux partis qui composent la coalition gouvernementale se sont mis d’accord sur un ensemble d’amendements communs visant à améliorer la loi et à satisfaire certaines des demandes d’Unidas Podemos, qui a toujours défendu la nécessité de garantir que les crimes du franquisme puissent être jugés en Espagne, ce qui était jusqu’à présent impossible en raison de la loi d’amnistie de 1977.
Dans ce contexte, le PSOE et Unidas Podemos se sont mis d’accord sur un amendement visant à souligner que cette loi, clé de la Transition, doit être interprétée et appliquée conformément au droit international, en particulier le droit humanitaire, selon lequel « les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et la torture sont considérés comme imprescriptibles et non-susceptibles d’amnistie ».
Le parti Unidas Podemos a affirmé que cette formulation ouvrait la porte au jugement des tortionnaires de Franco, mais le ministre de la présidence, Félix Bolaños, est allé jusqu’à reconnaître qu’en réalité, elle n’aurait aucun effet pratique, car elle n’abroge pas la loi d’amnistie de 1977 mais, au contraire, ratifie sa validité.
Tout cela a provoqué la colère de l’ERC (Gauche républicaine de Catalogne), dont le porte-parole au Congrès, Gabriel Rufián, a accusé le gouvernement d’avoir tenté de « vendre de la fumée » avec ces modifications de la loi et a clairement indiqué que les victimes ne trouveront pas de réponses à leurs demandes dans le système judiciaire espagnol tant que la loi d’amnistie ne sera pas modifiée.
La principale revendication de l’ERC dans ce domaine est la mise hors la loi du régime de Franco.
« Nous demandons quelque chose aussi simple que le fait qu’un régime démocratique comme celui-ci soit capable et assez courageux pour déclarer un régime issu d’un coup d’État non seulement nul et illégitime, mais aussi illégal », a insisté Gabriel Rufián, député de l’ERC ces dernières semaines.
Les associations de mémoire et les républicains de Catalogne étaient également très en colère après avoir appris que le secrétaire d’État à la mémoire démocratique, Fernando Martínez, avait ouvert des contacts avec le parti de centre-droit Ciudadanos pour tenter d’obtenir son soutien lors du vote de la loi, un soutien qu’ils n’auront pas, selon ce parti, si l’amendement conjoint visant à « réinterpréter » la loi d’amnistie est maintenu. De plus, le porte-parole de Ciudadanos, Edmundo Bal, a déjà placé son parti dans le camp du « non », là où se trouvent déjà le Parti populaire et Vox.

Une nouvelle loi. Pour quoi faire ?

Cette nouvelle loi devait remplacé la loi sur la mémoire historique approuvée par le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero en 2004. Une loi qui a été remise en question tout au long de ces dernières années par les associations de victimes du franquisme, car son préambule et ses articles mettaient sur un pied d’égalité victimes et bourreaux, une représentation fidèle des récits de la guerre comme une guerre « fratricide » qui mettait sur un pied d’égalité franquistes et anti-franquistes, les « deux Espagnes ».
Parmi les critiques, l’une d’entre elles, fondamentale, est que les limites de cette loi sont liées à la non-abrogation de la loi d’amnistie qui assimile les assassins franquistes aux victimes du franquisme pendant la guerre civile et les années de dictature. Une demande que ni Unidas Podemos ni le PSOE n’ont repris. Ainsi, les amendements proposés par les membres du gouvernement on seulement ne répondent pas à cette demande, mais réaffirment leur volonté de maintenir la loi de 1977.
Malgré les demandes incorporées, cette loi continue à maintenir l’impunité des tortionnaires et des assassins de Franco. Elle ne parle que du retrait des symboles et des titres et de l’annulation symbolique de certaines peines. Mais à aucun moment, il n’est question de juger les assassins franquistes, comme l’ancien ministre Rodolfo Martín Villa (1), qui est encore libre aujourd’hui, et présenté dans de nombreux médias comme l’un des « pères » de la démocratie. Mais pour ce faire, il faudrait abroger la loi d’amnistie de 1977, qui interdit toujours les poursuites à l’encontre des répresseurs de Franco.

Rodolfo Martín Villa

Le gouvernement du PSOE et de Unidas Podemos a approuvé un projet de loi de mémoire démocratique, qui bien qu’il reprenne certaines des demandes des organisations de mémoire historique, maintient l’esprit d’oubli et d’impunité de la Transition. L’exhumation des tombes, le retrait des symboles et de la nomenclature franquistes des rues ou les réparations aux victimes ont été obtenues sur la base d’une lutte sociale et judiciaire permanente de la société civile. La loi récemment adoptée a été présentée comme plus ambitieuse. Elle reprend certaines des demandes des associations de mémoire, mais les associations de mémoire continuent de la qualifier « de tiède, de timoré et de timide ».

Quelles sont les revendications reprises dans la loi grâce à la mobilisation des associations ?

Certaines des revendications historiques des associations de victimes du franquisme sont reprises dans le projet de loi. L’une d’entre elles serait que l’État soit responsable, également financièrement, de la recherche et de l’exhumation des fosses communes. À cette fin, il s’engage à dresser une carte d’état des fosses communes, à créer un recensement officiel des victimes et une banque d’ADN.
Toutefois, il ne précise pas combien d’argent sera dépensé à cet effet, ni comment ces fonds seront distribués. Cette mesure a été vivement critiquée par les associations. La loi continue de leur laisser le soin, ainsi qu’aux particuliers, de présenter des projets concrets d’inhumation. Comme l’a dénoncé Emilio Silva, l’un des leaders du mouvement de la mémoire historique en Espagne, cela signifie que les associations devront se faire concurrence pour accéder aux fonds, une lutte pour savoir qui exhumera ses proches en premier.
C’est précisément pour éviter cela que les associations ont demandé le contraire. L’État, par le biais de ses délégations et sous-délégations gouvernementales dans tout le pays, devrait être directement responsable de la localisation et de l’exhumation des milliers de républicains assassinés.
Le projet de loi parle également de la création d’un parquet de la mémoire démocratique et des droits de l’homme auprès de la Cour suprême pour enquêter sur les événements de la guerre civile et de la dictature, jusqu’à l’entrée en vigueur de la Transition, qui « constituent des violations des droits de l’homme et du droit humanitaire international ». Celle-ci serait chargée de mettre en œuvre un système progressif de sanctions pour les infractions à la loi, allant de 200 euros pour les infractions les plus mineures à 150 000 euros pour les plus graves. Les crimes brutaux du franquisme seraient punis, si la Cour constitutionnelle ne l’empêche pas en faisant appel à l’immunité de la loi d’amnistie de 1977, par de simples sanctions économiques.
Le projet déclare également nulles et non avenues les condamnations et les sanctions prononcées pendant la guerre civile et la dictature par les organes répressifs de Franco pour des raisons politiques, idéologiques, de conscience ou de religion ou pour des raisons d’orientation et d’identité sexuelles. Mais il s’agit d’un outil de réparation symbolique qui n’implique aucune forme de compensation.
Quant aux principaux symboles fascistes actuels tels que le Valle de los Caídos et la Fondation Francisco Franco, le premier, deviendra un cimetière civil qui ne pourra accueillir que les corps de ceux qui sont morts pendant la guerre civile.

Valle de los Caídos

Quant à cette fondation, l’objectif est de la mettre hors la loi en introduisant une modification de la loi sur les associations afin d’agir contre celles dont l’un des objectifs est de faire l’apologie du franquisme ou d’inciter directement ou indirectement à la haine ou à la violence contre les victimes de la guerre civile ou de la dictature.
Il est également question de révoquer des titres tels que le duché de Franco, ou des condamnations et des médailles de police telles que celles de Billy El Niño, décernées pendant la dictature, ainsi que la création d’un inventaire des biens spoliés pendant la guerre civile et la dictature, sans possibilité de restitution, ou la reconnaissance et la réparation des victimes qui ont effectué des travaux forcés.
Enfin, en matière éducative et symbolique, l’objectif est d’élargir le contenu pédagogique de la mémoire démocratique, en y incluant : « Le rôle actif et unique des femmes espagnoles en tant que protagonistes d’une longue lutte pour la démocratie et les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité, ainsi que la répression et les souffrances spécifiques infligées parce qu’elles étaient des femmes ». Il insiste également sur l’un des objectifs non atteints de la loi précédente, à savoir la suppression de tous les postes de travail.
L’amendement se lit comme suie : « Toutes les lois de l’État espagnol, y compris la loi 46/1977, du 15 octobre, sur l’amnistie, doivent être interprétées et appliquées conformément au droit international conventionnel et coutumier et, en particulier, au droit international humanitaire, selon lequel les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le génocide et la torture sont considérés comme imprescriptibles et non-susceptibles d’amnistie ».

Les associations de victimes et de la mémoire historique continuent de pointer du doigt les revendications oubliées

La loi a été accueillie de manière critique non seulement par la droite héritière du franquisme, comme il fallait s’y attendre, mais aussi par une grande partie de la gauche parlementaire. Pour Gabriel Rufián d’ERC (Gauche républicaine catalane) : « Il manque l’abrogation nécessaire de la loi d’amnistie qui assimile les assassins franquistes aux victimes républicaines ». Même Unidas Podemos, dans un nouveau numéro de jonglage puisque l’organisation fait partie du gouvernement qui la promeut, s’est déclarée en faveur d’une « amélioration » de la loi par le biais d’amendements.
Mais les critiques les plus virulentes sont sans doute venues des associations de victimes du franquisme et de la mémoire historique. Celles-ci ont dénoncé dans un communiqué commun que : « Nous ne sommes pas prêts à accepter des renoncements. Ni les victimes du franquisme qui sont encore en vie ni leurs familles, ni la société et la démocratie dans son ensemble ne peuvent se le permettre. Nous ne pouvons pas attendre quatorze années supplémentaires pour une nouvelle loi qui satisfasse les droits inaliénables des victimes à la Vérité, à la Justice et à la Réparation. En tant que collectifs de victimes, en tant que société démocratique, nous ne pouvons pas renoncer au droit d’exercer la justice pénale pour les tortionnaires et les criminels franquistes qui sont encore en vie, et c’est une grave erreur que, si cette loi continue à fermer l’accès des victimes à la justice, elle pourrait finir, en fin de compte, par soutenir définitivement l’impunité du franquisme ».

Lutter pour mettre réellement fin à l’impunité du franquisme

Malgré les demandes incorporées, cette loi continue à maintenir l’impunité des tortionnaires et des assassins de Franco. Elle ne parle que du retrait des symboles et des titres et de l’annulation symbolique de certaines peines. Mais à aucun moment, il n’est question de juger les assassins franquistes, comme le ministre Martin Villa [1], qui est encore libre aujourd’hui, et vendu dans de nombreux médias comme l’un des « pères » de la démocratie. Pour ce faire, il faudrait abroger la loi d’amnistie de 1977, qui interdit toujours les poursuites à l’encontre des répresseurs de Franco.
La réparation des victimes passe également par l’inventaire et la restitution de tous les biens spoliés par le régime franquiste aux familles de ceux qui ont subi des représailles. De nombreux hommes d’affaires et leurs descendants, ducs et hommes politiques devront se débarrasser d’une grande partie de leurs richesses accumulées par ce pillage systématique perpétré surtout dans les premières années de la dictature.
Quant à la mise hors la loi de la Fondation Francisco Franco, ou à la poursuite pénale de l’apologie du franquisme, bien que superficiellement elle puisse apparaître comme un « coup » contre l’extrême droite, en réalité elle durcit les outils politiques répressifs de l’État et ouvre la possibilité de restreindre sévèrement la liberté d’expression. Comme c’est le cas avec toutes les mesures qui renforcent l’appareil punitif de l’État capitaliste. De plus, le franquisme et ses héritiers ne dépendent pas fondamentalement de ces associations, mais sur le pouvoir judiciaire, les forces de police, l’armée et une bonne partie de la caste politique.
Les travailleurs ont constitué la majorité du demi-million de personnes assassinées par le franquisme et des centaines de milliers d’autres qui ont dû s’exiler ou pourrir dans les prisons et les camps de concentration de Franco. Pour eux, il n’y a pas de plaques, pas d’hommages, pas de grands actes, seulement le silence et l’oubli de la part du régime issu du « pacte de l’oubli » de 1978.
Le gouvernement « progressiste » n’a pas jugé, et n’a pas l’intention de le faire, les meurtriers et les tortionnaires. Il ne cherche qu’à actualiser le faux « consensus de la Transition », afin d’apaiser toutes les voix qui pourraient sortir du cadre constitutionnel. Nous savons que depuis la mise en place du régime de 1978, issu de cette Transition avec la complicité des principaux leaders de l’opposition de la gauche antifranquiste, il est impossible de rendre justice aux victimes du fascisme.
C’est pourquoi, la grande majorité des associations de mémoire en France et en Espagne refusent de collaborer avec le gouvernement socialiste. Elles continueront à revendiquer la mémoire de ceux qui ont donné leur vie et ont été réprimés pour avoir lutté contre la dictature et le régime qui l’a suivie. Le combat continue pour obtenir justice et réparation et contre le régime héritier de Franco, cette monarchie choisie par la grâce du Dictateur.

Daniel Pinós


[1Rodolfo Martín Villa, 87 ans, est poursuivi en Argentine pour meurtre et torture pendant la dictature. L’ancien ministre occupait « une position prépondérante dans la structure de pouvoir hiérarchique ». Dans les années 70, pendant que Martín Villa était ministre de l’intérieur, 35 citoyens espagnols ont été tués dans la rue par la police armée, la Guardia Civil et des groupes d’extrême droite.