Une loi sur la mémoire est-elle nécessaire ?

samedi 23 juillet 2022, par Pascual

MÉMOIRE HISTORIQUE EN ESPAGNE 

Nous venons d’assister à un mouvement de justification du Parti socialiste et de Unidas Podemos (« le gouvernement le plus progressiste de l’histoire »), peut-être après avoir vu que dans leur bastion le plus sûr, l’Andalousie, ils ne gagnent même plus les élections.

Nous pouvons penser que les négociations récentes avec le reste des groupes parlementaires ont été débloquées, mais il est très suspect que cela se soit produit maintenant, très près du 86e anniversaire du coup d’État perpétré le 18 juillet 1936. Presque deux ans se sont écoulés depuis la présentation, par Carmen Calvo, de l’avant-projet de loi, qui a été écrit sans consulter les associations de Mémoire ou les organisations qui travaillent à la défense des droits de l’homme, et nous continuons à dénoncer que, bien que plusieurs propositions faites par les associations et les organisations aient été incorporées (après l’ouverture des propositions, après l’approbation de l’avant-projet de loi) concernant l’inclusion des crimes contre les femmes, le traitement dans les écoles de la dictature, la prise en compte des victimes, la période à prendre comme référence, elle reste une mauvaise loi car elle continue de montrer que l’intention du gouvernement est de blanchir cette période sinistre de l’histoire de l’Espagne. Et tout cela se produit lorsque le nombre de victimes appartenant à l’UGT (syndicat dirigé par les socialistes) et au PSOE (le Parti socialiste) est très élevé et que les représentants de ces mêmes organisations sont au pouvoir.

Elle reste une mauvaise loi, car elle continue de montrer que l’intention du gouvernement est de blanchir cette période sinistre de l’histoire de l’Espagne.

J’ai commencé l’article en demandant s’il était nécessaire de légiférer sur la Mémoire historique. Il a été démontré que la première loi qui visait à « valoriser la Mémoire et à honorer ceux qui ont souffert de la répression » n’a guère servi, si ce n’est à accorder des subventions pour l’exhumation des tombes (pendant la législature socialiste, puisque lorsque le Parti populaire de droite est arrivé au pouvoir, l’allocation économique était de 0 €.) et à disposer d’un argument juridique pour « changer le nom des rues ». Quinze ans après la publication de la loi du premier ministre socialiste Zapatero, il a été démontré que les lois ne garantissent rien lorsqu’elles n’imposent pas, mais recommandent, lorsqu’elles ne sanctionnent pas parce qu’elles n’ont pas été développées ultérieurement avec les règlements qui font fonctionner les lois.

N’oublions pas que les lois sont une proposition d’intentions du gouvernement qui propose leur approbation. C’est pourquoi je me demande si une loi sur la mémoire démocratique promue par le Parti socialiste est nécessaire. Il ne fait aucun doute que le PSOE est l’un des protagonistes de la transition qui a fondé son succès sur l’oubli et sur une loi d’amnistie qui, soi-disant, a également amnistié les auteurs de crimes qui n’allaient même pas être jugés avant leur amnistie, et de nombreux dirigeants socialistes étaient conscients de cela.

Et je le dis haut et fort, c’est un lifting qu’ils sont obligé de faire parce que 46 ans après la mort du dictateur, nous continuons avec ses institutions et elles sont pleines de vigueur. Le Tribunal d’ordre publique franquiste est devenu l’Audience nationale, un organe juridictionnel dédié à la persécution des rappeurs, des syndicalistes et des indépendantistes. La monarchie est toujours en place, elle s’acoquine avec les grandes entreprises et manifeste clairement son soutien à la droite, les partis majoritaires sont les mêmes que ceux qui se sont mis d’accord sur la loi de l’oubli, la police et l’armée continuent d’afficher des attitudes fascistes qui n’ont jamais été condamnées par leurs patrons politiques et nous continuons avec une église catholique nationale qui conserve tout son pouvoir dans les décisions de la société et de la politique.

Quarante-deux ans après la mort du dictateur, nous avons toujours ses institutions en pleine vigueur.

Alors... Une loi de la mémoire, est-elle nécessaire ? Ce qu’il faut, c’est une véritable politique de reconnaissance des faits (vérité), une enquête sur les crimes commis (justice) et une véritable réparation pour les victimes en fournissant les moyens d’exhumer et d’identifier les victimes et d’offrir l’aide nécessaire pour guérir les blessures causées par le conflit, la dictature et la Transition (réparation) et, de cette façon, nous pouvons faire en sorte que des événements aussi douloureux et pénibles ne se répètent pas (garanties de non-répétition). Les mots entre parenthèses répondent à la position du rapporteur de l’ONU pour la vérité, la justice, la réparation et les garanties de non-répétition, qui a dénoncé le fait que la politique espagnole n’offre pas aux victimes le traitement qui devrait être offert dans le respect des droits de l’homme. Et la solution a été offerte par les résolutions émises par les différents rapporteurs qui ont visité l’Espagne en ce qui concerne les crimes du franquisme. Les dirigeants espagnols doivent simplement se conformer à ces recommandations émises par l’ONU en 2015.

Bien. Mettons une loi sur la table. Mais il devrait s’agir d’une loi qui corrige les erreurs de la loi de 2007 sur la mémoire historique. Eh bien, ce n’est pas le cas. Ils considèrent que la situation qui existait en 2007 a été surmontée et estiment que la double échelle de réparation établie dans l’article 10 de la loi de Zapatero ne doit pas être modifiée. Ainsi, le gouvernement a économisé beaucoup de millions en lésant des milliers de victimes de longue date qui ont souffert depuis les années de la guerre jusqu’à leur mort parce qu’elles appartenaient au « mauvais » camp. Le travail des esclaves du franquisme reste sans réparation, bien qu’il n’y ait plus de survivants, mais la société devrait recevoir les bénéfices que les entreprises espagnoles ont réalisés en exploitant les prisonniers du franquisme et verser une compensation qui, si elle n’est pas possible pour les familles de ces hommes qui ont perdu la vie ou qui ont souffert d’une mauvaise santé pour le reste de leur vie. Cette comensation qui devrait au moins revenir aux bénéfices de la communauté. Quelle réparation pouvons-nous offrir à ces femmes qui ont cousu et fait le ménage pour les riches en exécution de leur peine pour être des « rouges » ? Elles n’ont même pas été prises en compte, comme cela a toujours été le cas pour les femmes dans l’histoire.

Ils considèrent que la situation qui existait en 2007 a été surmontée et estiment que la double échelle de réparation établie dans l’article 10 de la loi de Zapatero ne doit pas être modifiée.

La première chose à faire est d’ordonner l’ouverture des archives et de procéder à un inventaire avec les moyens appropriés. Parce qu’il ne faut pas oublier que de nombreux documents ont été détruits ou cachés, l’Église ne permet pas l’accès à ses archives...

Et parlons du pillage subi par les familles qui ont perdu la guerre. Il est reconnu que ce vol a existé dans la loi, mais les biens ne seront pas rendus à ceux qui ont été volés par les familles victorieuses et les institutions franquistes.

On crée un parquet sans moyens, sans ressources et sans intention d’enquêter. Pourquoi le mettre en place s’il ne fonctionnera jamais ? Pourquoi mettre en place quelque chose qui sera paralysé quand la droite arrivera ?

La création d’une banque d’ADN est approuvée, nous sommes en retard, mais veuillez la mettre en place MAINTENANT. Y compris pour l’enquête sur le vol de bébés.

Nos dirigeants disent que les sentences prononcées par le régime franquiste seront considérées comme nulles et non avenues mais ils ne nous disent pas comment cela sera appliqué judiciairement.

Et pour couronner le tout... On ne va pas enquêter sur les crimes du franquisme avec des coupables vivants. C’est leur intention. Laissez passer le temps et ils seront tous morts, victimes et coupables.

Et n’oublions pas. Quatre-vingt-six ans se sont écoulés depuis la fin d’un régime qui continue de régner dans cet État.

Nous verrons si finalement le procès argentin, le seul processus ouvert qui enquête sur les crimes du franquisme (où la CGT, la Confédération générale du travail anarcho-syndicaliste est impliquée dans la dénonciation du travail forcé des prisonniers franquistes et attend que le juge inculpe certaines des entreprises), pourra faire tomber l’impunité du franquisme que l’Espagne veut maintenir. C’est bien sûr l’espoir des victimes qui sont allées jusqu’en Argentine pour obtenir un processus similaire à celui qui a eu lieu par rapport à la dictature argentine, processus qui a amené les coupables d’atteintes aux droits de l’homme à purger des peines grâce à la justice universelle.

La CGT doit continuer à dénoncer l’état franquiste dans lequel nous vivons. Nous devons exiger une action contre les hommages aux auteurs du coup d’État (je ne doute pas que ce 18 juillet, il y a eu des salves dans les casernes en l’honneur du soulèvement) comme des messes ont eu lieu dans la nécropole de la Vallée des morts en l’honneur du soulèvement. En janvier 2022, le gouvernement a été interrogé par la CGT pour avoir permis ce qui s’est passé à Cordoue. Les anarcho-syndicalistes dénoncent l’armée espagnole pour avoir réalisé des actes d’exaltation militaire des « morts pour Dieu et la patrie » à côté d’une tombe de victimes du régime franquiste. Après sept mois, le gouvernement n’a pas répondu et une plainte a été déposée auprès du Médiateur, qui l’a admise pour traitement.

Je voudrais simplement vous rappeler que lors du dernier Congrès confédéral qui s’est tenu à Saragosse, une résolution a été adoptée en faveur du travail de récupération de la Mémoire historique. Il ne doit pas s’agir de simples paroles, mais d’un véritable soutien aux victimes, en collaboration avec la société civile, afin de garantir le respect des principes de vérité, de justice et de réparation.

Le 19 juillet dernier était l’anniversaire de la révolution libertaire. N’oublions pas les valeurs qui ont poussé des milliers de personnes à prendre les armes et à renverser le fascisme. Mais n’oublions pas non plus qu’ils ont mis en marche une société libertaire et fait fonctionner les collectivités, en collectivisant les transports et les usines et en prouvant qu’un autre monde est possible. Nous avons encore besoin de beaucoup d’entraînement et de gymnastique révolutionnaire pour pouvoir mener à nouveau la révolution libertaire. Mais, aujourd’hui, nous pouvons contribuer à cette révolution en dénonçant l’utilisation des victimes du franquisme.

Parce qu’ils étaient, nous sommes, parce que nous sommes, ils seront. Nous le leur devons.

Charo Arroyo

Article publié sur El salto diario
https://www.elsaltodiario.com/alkimia/es-necesaria-una-ley-de-memoria

Traduction : Daniel Pinós