Déclaration de Amnesty International et la Coordination de soutien de l’État à la plainte argentine (CEAQUA)
Les deux organisations ont publié une déclaration dénonçant la stagnation des réformes législatives qui pourraient amorcer la fin de l’impunité pour les crimes de Franco.
Combien de législatures faudra-t-il pour mettre fin à l’impunité des crimes de Franco ?
Amnesty International et le CEAQUA demandent au Parlement de mettre en œuvre les recommandations que les Nations unies formulent depuis 14 ans afin d’apporter une réponse adéquate à ceux qui ont subi des violations des droits humains dans le passé.
Amnesty International et la Coordination de soutien de l’état à la plainte argentine (CEAQUA) s’inquiètent une fois de plus de la paralysie des initiatives législatives qui pourraient permettre à l’État espagnol de mieux rendre compte des graves violations des droits humains commises sous le régime de Franco. Les organisations rappellent que des organisations telles que les Nations Unies demandent depuis plus de 14 ans des mesures efficaces pour donner effet au droit à la vérité, à la justice et à la réparation pour les personnes ayant subi de graves violations des droits de l’homme dans le passé, alors que le projet de loi sur la mémoire démocratique et la proposition de loi sur les bébés volés au niveau de l’État ne progressent guère.
En 2008, les Nations unies (ONU) ont pour la première fois appelé l’Espagne à adopter des mesures concrètes pour mettre fin à l’impunité des crimes de la guerre civile et du régime franquiste et pour garantir les droits des victimes. Depuis lors, divers mécanismes des Nations unies ont publié jusqu’à 11 rapports soulignant la nécessité de priver la loi d’amnistie de ses effets, afin qu’elle ne puisse pas être appliquée par les tribunaux espagnols pour empêcher la poursuite de ces crimes, et de lever ainsi les obstacles aux enquêtes judiciaires sur les graves violations des droits de l’homme commises en Espagne dans le passé. En outre, 7 de ces 11 rapports comportaient la recommandation expresse à l’État espagnol de créer une Commission de la vérité pour faire la lumière sur les crimes du franquisme.
« Malheureusement, l’État espagnol n’a pas tenu compte des recommandations de l’ONU depuis plus de 14 ans, et celles-ci ne sont pas incluses dans le projet de loi sur la mémoire démocratique, ni dans les amendements présentés conjointement par les partenaires gouvernementaux. Combien de fois l’ONU devra-t-elle répéter cela, combien de législatures faudra-t-il pour que les victimes du franquisme et leurs familles obtiennent des réponses ? », a déclaré Daniel Canales d’Amnesty International.
Comment ce retard affecte-t-il les victimes ?
Avec ce projet de loi, s’il est approuvé, l’État espagnol mettrait en place, entre autres mesures, un procureur général qui serait chargé de promouvoir la recherche des disparus et déclarerait la nullité des condamnations injustes prononcées sous le régime franquiste. Bien que ces mesures répondent à certaines des recommandations formulées par les Nations unies, le projet nécessite des améliorations importantes afin de mettre un terme à l’impunité réclamée en 2021 par le rapporteur spécial des Nations unies pour la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, qui a déclaré dans son rapport qu’ « en Espagne, les violations des droits de l’homme commises pendant le régime franquiste restent impunies ».
L’impunité évoquée par le rapporteur, Fabián Salvioli, dure depuis plusieurs générations. Dans de nombreux cas, ce sont les petits-fils et petites-filles des victimes qui se chargent de localiser les restes de ceux qui se trouvent encore dans des fosses communes. C’est le cas d’Antonio Narváez qui est mort en octobre 2020 à l’âge de 87 ans sans avoir réussi à retrouver les restes de son père et de sa mère, disparus pendant la guerre civile à Marchena, Séville. Aujourd’hui, ce sont les filles d’Antonio, María Teresa, Eva María et Conchi, qui poursuivent les recherches. Si la loi sur la mémoire démocratique est adoptée, cette recherche deviendra une obligation légale pour l’État, qui devra assumer la responsabilité directe de sa réalisation.
« Il est également urgent de reconnaître juridiquement toutes les victimes du franquisme et d’établir un recensement. Ainsi que la mise en œuvre des mesures nécessaires dans le domaine de l’éducation, en incorporant des contenus sur la mémoire et les droits de l’homme dans le programme éducatif, ce qui est fondamental en tant qu’outil pour renforcer les garanties de non-répétition », a déclaré Paloma García du CEAQUA.
Loi de l’État sur les bébés volés
En janvier 2022, plusieurs experts des Nations unies (Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ; rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; rapporteur spécial sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; et rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition) a envoyé une lettre au gouvernement espagnol pour lui demander « les raisons pour lesquelles la proposition de loi est au stade des amendements depuis septembre 2020, sans progresser vers son approbation finale ». Les organisations n’ont pas connaissance d’une réponse à cette lettre. En novembre 2021, le Comité des disparitions forcées a critiqué le fait que les enquêtes sur les « bébés volés » aient été closes en raison d’un manque d’accès à la documentation pertinente, et que les affaires aient été considérées comme prescrites, ainsi que le fait que les mesures adoptées par les autorités dans ces affaires n’aient pas permis d’identifier les victimes.
María José Picó, qui recherche sa sœur jumelle, née en 1962 à Alicante, a expliqué à Amnesty International que « les victimes n’ont pas les moyens de chercher, nous n’avons aucun moyen, nous pouvons nous écraser, mais non, c’est l’État qui devrait le faire. Nous pouvons être là et aider, mais ceux qui ont le pouvoir de le faire, ce sont eux [les autorités], et ils nous ont abandonnés. María José a réussi à obtenir du ministère public qu’il demande deux exhumations dans le cimetière d’Alicante, où sa sœur est censée être enterrée. Les interventions n’ont pas pu confirmer que sa sœur était enterrée là, et malgré le fait qu’elle soit toujours portée disparue, le bureau du procureur a décidé de clore l’enquête.
« Après quatre ans d’impasse dans le traitement de la loi sur les bébés volés, il est urgent que le Parlement fasse pression pour son approbation afin de garantir la recherche et l’identification des enfants, des enquêtes approfondies et indépendantes, une assistance complète, tant juridique que psychosociale pour les victimes, et la reconnaissance publique de l’impact que ce type de violence a eu spécifiquement sur les femmes. Aucune excuse ne peut justifier le fait que cette question reste sans réponse, et que des cas comme celui de María José restent sans réponse », a déclaré Soledad Luque de l’association Todos los niños robados son también mis niños (Tous les enfants volés sont aussi mes enfants).
Les organisations exigent que le processus de traitement de ces deux lois soit achevé et qu’elles puissent être présentées pour approbation au Congrès des Députés avant la fin de cette législature. Il s’agit d’un engagement pris par le gouvernement et il doit être respecté car la reconnaissance et le droit des victimes qui ont subi de graves violations des droits de l’homme à obtenir la vérité, la justice et la réparation ne peuvent continuer à être reportés.
Le projet de loi sur la mémoire démocratique
Il a été promu par le gouvernement pour remplacer l’actuelle loi sur la mémoire historique de 2007. Il a été approuvé par le Conseil des ministres et présenté au Congrès des députés en juillet 2007.
Près d’un an plus tard, et le délai de présentation des amendements ayant expiré en novembre dernier, la commission chargée de traiter le projet de loi n’a toujours pas été mise en place.
Le projet de loi sur les bébés volés
Après un traitement infructueux dû à la dissolution des Cortes en raison des élections anticipées de 2019, le projet de loi de l’État sur les bébés volés a repris son traitement dans la législature actuelle. Depuis l’ouverture de la phase d’amendement en septembre 2020, aucun progrès n’a été réalisé dans son traitement parlementaire. Amnesty International, l’association Todos los niños robados son también mis niños, et le CEAQUA ont organisé tout au long de cette année des réunions avec des groupes parlementaires et des représentants des ministères de la Justice, de la Présidence et des Affaires sociales dans le but de débloquer son traitement. Sans succès pour l’instant.
Traduction : Daniel Pinós