Nous restons sur la piste des faussaires

lundi 19 juin 2023, par Pascual

Nous continuons sur la piste des faussaires et de leur lutte au profit du mouvement libertaire.

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Saluts à tous ceux qui nous lisent. Nous voici avec la deuxième partie consacrée à la falsification et à ses relations avec le monde anarchiste. Nous étendrons un peu plus la période, puisque nous commencerons avant la guerre civile, et nous l’étendrons jusqu’aux années 70. Un voyage long mais intense. D’autre part, j’espère pouvoir inclure avant la fin du mois une autre entrée, celle-ci centrée sur le premier livre de Ni cautivos ni desarmadas (Ni captifs ni désarmés) qui va être publié par Piedra Papel Libros. Il est actuellement sous presse et, si tout va bien, il sera publié au début du mois de juin. J’espère pouvoir vous donner des nouvelles bientôt.

Nous allons faire remonter cette deuxième partie consacrée aux falsificateurs à un peu plus loin dans le temps. Nous revenons quelques années en arrière et le premier que nous connaissons est Mariano Conde. García Oliver a déclaré qu’il était le faussaire le plus célèbre de l’histoire picaresque espagnole. Parmi ses exploits, alors qu’il était en prison à Ceuta en 1905, alors que le général Bernal, gouverneur de la ville, doutait de ses capacités. Deux mois plus tard, le général fut stupéfait d’apprendre que le garde d’une poudrière avait abandonné sa garde sur ses propres ordres. En s’informant, le général Bernal, compris que le garde reçut l’ordre avec sa signature falsifiée, ainsi que les sceaux et autres documents pertinents. Nous incluons Conde dans l’article en raison de sa collaboration avec la CNT contre Bravo Portillo. Grâce à l’obtention par Ángel Pestaña d’une note manuscrite de l’infâme répresseur, le faussaire a pu reproduire des documents écrits et signés par le commissaire de police, dans lesquels il était dit qu’il espionnait pour l’Allemagne. Ces documents ont été publiés dans Solidaridad Obrera et ont provoqué un grand scandale et un grand étonnement de la part de Portillo, car il a reconnu son écriture et sa signature, alors qu’il n’en était pas l’auteur. Conde était également un faux-monnayeur et un fabricant de faux-chèque.s Il mourut en prison en 1928 à l’âge de 80 ans.

Le corps de l’inspecteur Brabo Portillo, tué par un groupe d’action anarchiste. IMANOL

Nous passons maintenant au midi français, plus précisément à Carcassonne. C’est dans cette ville qu’était basé le groupe de travailleurs étrangers n° 422 et que le célèbre photojournaliste Agustín Centelles a installé son laboratoire photographique clandestin. Avec lui, son assistant, le photographe Pujol, le commandant d’artillerie Enrique Oubiña du GTE susmentionné, qui avait construit une petite imprimerie, et José Luis Fernández, entre autres. Ce groupe a collaboré avec tous les républicains espagnols en danger, quelle que soit leur affiliation politique. Ils fabriquaient des documents pour les clandestins du GTE, pour l’école de guérilla voisine de Roullens (l’une des deux existants en France pendant l’occupation allemande, dont González lui-même était l’un des instructeurs), et des documents pour les clandestins du GTE, pour l’école de guérilla voisine de Roullens (l’une des deux qui existaient en France pendant l’occupation allemande et dont Gonzalez lui-même était l’un des instructeurs) ou pour les réseaux d’évasion, notamment celui de Ponzán, par l’intermédiaire de Manuel Huet. Des certificats d’identité français et allemands, des sauf-conduits allemands, des ordres de transfert de personnel entre GTE, de GTE vers des emplois spécifiques, des ordres de transfert des camps de concentration vers diverses prisons, des sauf-conduits pour circuler en France et divers documents provenant des consulats franquistes en France ont été produits. Ce laboratoire a été créé pendant l’hiver 1943/43 et a fonctionné jusqu’aux premiers mois de 1944, car entre janvier et mai de cette année-là, la Gestapo et la police française ont effectué trois raids dans la région, démantelant plusieurs groupes clandestins, y compris l’arrestation d’Oubiña, qui s’est retrouvé au camp de concentration de Dachau. Heureusement, tout le matériel conservé au 44 rue Voltaire, comme les documents vierges, les faux tampons, les laissez-passer français et allemands vierges, la multicopieuse et le laboratoire photographique, a pu être évacué sans encombre.

Agustí Centelles à Carcassonne, où il a installé son laboratoire photographique clandestin. IMANOL

De son côté, le PCE disposait également de sa propre équipe de falsification, dite « équipe technique », dirigée par le peintre madrilène Domingo Malagón, qui faisait partie de ce qui était l’appareil d’étapes du Parti communiste. Malagón lui-même s’exprimait ainsi : « .. Un monde totalement inconnu s’ouvrait devant moi. J’ai commencé par faire des essais et encore des essais avec un pinceau, en imitant les lettres d’imprimerie. C’était un travail de Chinois, mais avec beaucoup de persévérance, j’ai acquis une certaine aisance et j’ai amélioré les ressemblances. Les premières commandes que j’ai reçues concernaient des sauf-conduits espagnols, c’est-à-dire des documents permettant la mobilité interne en Espagne. Rapidement, au vu des bons résultats obtenus, Celada m’a suggéré d’augmenter la production. L’étape suivante consistait donc à produire des tampons qui nous permettraient d’entamer une « production de masse ». L’affaire devient alors encore plus compliquée ; au manque de connaissances spécifiques dans le domaine dans lequel j’étais formée, s’ajoutait la pénurie de ressources matérielles typique d’un continent en guerre : comment fabriquer un tampon en caoutchouc, alors que même les chaussures que nous utilisions avaient des talons en bois ? Le cuir n’était pas non plus facile à trouver, je devais donc me contenter de caoutchouc de récupération, un substitut largement utilisé dans l’industrie automobile pour la fabrication de roues, de tapis, etc. Bien sûr, le papier était une denrée très rare, tout ce qui était disponible sur le marché était excessivement grossier et irrégulier. J’ai eu recours au marché du livre ancien où, à de nombreuses occasions et en l’absence de budget, j’étais obligé de déchirer les feuilles vierges, jaunies par le temps. Je me revois comme un hamster, conservant toutes sortes de matériaux qui me tombaient sous la main ; je me revois faisant mille et une tentative pour manipuler le papier, apprendre la teinture et la coloration, je me revois cherchant des livres techniques qui m’ouvriraient des portes dans les vastes domaines des arts graphiques. Ainsi, pour le meilleur et pour le pire, j’ai pu travailler jusqu’à ce que, avec la fin de la guerre, les marchés commencent à se normaliser. Je devais aussi trouver les bons outils pour chaque travail ; il n’était pas facile, par exemple, de trouver de quoi travailler le caoutchouc. Au début, j’ai essayé des pointes de coupe très fines, comme celles utilisées pour vacciner les enfants, mais elles étaient trop épaisses et ne me convenaient pas. Après de nombreux essais, j’ai finalement décidé d’utiliser des lames de rasoir qui, coupées en biais, offraient un bord très fin. Celles-ci, ainsi qu’une loupe, une pince à épiler et des pointes, constituaient au départ tout mon matériel...

Domingo Malagón, responsable de la section des faux du PCE. IMANOL

Ses principaux collaborateurs furent les Basques Jesús Beguiristain, entrés dans l’équipe dans les années 1940 et virtuose du pinceau, José Víctor Larreta, entré en 1947 et chargé du processus photographique et de l’impression des documents, et Ramón Santamaría, entré dans l’équipe en 1958 et chargé de la photogravure, en remplacement d’Antonio Pérez Garrido, qui a dû quitter son poste en raison des réactions de son organisme aux produits chimiques utilisés.

Toujours dans le pays voisin et à la même époque, nous rencontrons peut-être le plus grand et le moins connu des faussaires du militantisme anarchiste. Il s’agit de Laureano Cerrada, le cheminot de Miedes de Atienza. Sa première rencontre avec le monde de la contrefaçon s’est peut-être faite avec les services secrets britanniques au début de la Seconde Guerre mondiale, dans le sud de la France. Laureano n’est pas le seul à avoir été formé à cet art, le groupe Ponzán a également bénéficié de ces maîtres, et même le guérillero libertaire Miguel García García a été l’un de ses élèves. Ses débuts remontent à l’époque de l’occupation allemande. Son siège se trouvait en région parisienne, et parmi ses collaborateurs se trouvait l’artiste et graveur Madeleine Lamberet, ou May Picqueray, qui travaillait comme correctrice à l’imprimerie Alkan. C’est à partir de là qu’ils commencèrent leur intense travail de falsification de documents, tant pour la population juive que pour tous ceux qui devaient échapper au service du travail obligatoire. En 1944, Cerrada disposait de sa propre imprimerie et l’étape suivante fut celle des cartes de rationnement. Les plaques monétaires espagnoles sont arrivées en 1945, obtenues par un groupe de partisans anarchistes italiens qui les ont remises à la CNT. 
Il se trouve que c’est le comité régional de Paris, avec Cerrada à sa tête, qui les a récupérés. La contrefaçon de la peseta arriva sur un plateau et le groupe s’y est attelé avec l’intention de perturber le plus possible l’économie espagnole et de financer toutes les luttes nécessaires. Avec la fausse monnaie, des camions furent achetés et une société de transport fut créée pour inonder la péninsule de billets, une opération dirigée par son inséparable ami Luis Robla. En outre, de petits groupes de deux ou trois personnes commencèrent à se déplacer et à changer les billets, que ce soit à Barcelone ou à Malaga. Au fil des années, les fausses pièces de monnaie et les billets de loterie se multiplièrent, tandis que les faux documents continuaient d’être fabriqués. Mais ce n’est pas tout, l’« activité » s’étendit aux contrats de travail, aux actes de propriété, et même aux testaments (à titre d’anecdote, rappelons les faux billets pour les arènes de Nîmes, qui ont triplé leur capacité, avec les émeutes que cette action a provoquées, observées par Cerrada lui-même depuis un hôtel voisin).

Laureano Cerrada en France, avril 1946, avec sa célèbre pipe à la main. IMANOL

Le groupe Cerrada a soutenu la guérilla libertaire avec des documents et de la fausse monnaie, comme il l’a fait avec le groupe Defensa Interior (Défense intérieure) et les GARI. Ses activités comprirent également la préparation et le financement de deux attentats contre Franco. Cerrada fut arrêté à plusieurs reprises en France dans le cadre d’une affaire des faux billets. En mai 49, une imprimerie clandestine fut découverte avec 40 000 faux billets de loterie, ainsi qu’un arsenal, et en 1950, il fut exclu de la CNT. En 1951, il fut à nouveau arrêté pour contrefaçon de monnaie allemande, en plus d’un tragique hold-up commis à Lyon par l’un de ses groupes, qui entraîna de vastes descentes de police et la faillite de l’imprimerie en Normandie, ainsi que plusieurs de ses entreprises « légales » et l’avion avec lequel ils avaient tenté de bombarder Franco. Arrêté avec une partie de son équipe au début de 1955 pour contrefaçon de billets de 25 et 500 pesetas. Arrêté à nouveau en 1957, en possession d’un revolver et de 10 millions de pesetas contrefaites. La dernière arrestation remonte à 1970 et, cette fois, ce sont de faux documents qui l’ont conduit en prison. Parmi les collaborateurs de son équipe de faussaires, on trouve, par exemple, le dessinateur Guillembert, Pedro Moñino et Antonio Verardini, déjà cité. Cerrada a été assassiné en 1976 par l’infiltré Ramón Benichó, c’est du moins la thèse la plus solide.

L’artiste française Madeleine Lamberet, collaboratrice des faux de Cerrada. IMANOL

Cipriano Damiano « Yayo », né à Malaga, a pendant plusieurs années a réussi à travailler sous une fausse identité, dans la commission technique pour la fortification de la côte sud. De sa position bureaucratique au sein de cette commission, il distribuait de faux papiers ou des avenants, voire des voitures officielles pour certains déplacements qui ne nécessitaient aucun contretemps, tant au niveau de l’administration qu’au niveau de l’entreprise, tant pour les compagnons de la CNT clandestine que pour les membres de la guérilla andalouse. Parmi eux, les 15 guérilleros andalous qui tentèrent d’éliminer le caudillo dans sa résidence d’El Pardo. À la fin des années 1940, alors qu’il était en poste au commandement des travaux militaires à Cadix, il a été découvert, bien qu’il ait réussi à s’enfuir à Barcelone. Il a ensuite été arrêté en juin 1953 et condamné à 15 ans de prison.

Cipriano Damiano pendant sa détention à Jaén. IMANOL

Juan José Caba Pedrazo est surtout connu pour ses évasions répétées de diverses prisons franquistes. Mais il figure dans cet article parce qu’en 1947, lorsqu’il s’est évadé pour la troisième fois, cette fois de la prison de San Miguel de los Reyes, il l’a fait avec deux compagnons en falsifiant des ordonnances judiciaires de mise en liberté. Ces ordonnances parvenaient régulièrement à la prison du Levant, au grand étonnement des autorités pénitentiaires elles-mêmes. Sa liberté fut de courte durée et, en mai 1948, il s’évada de la prison d’Ocaña avec 11 autres militants libertaires. En juin 1952, grâce à un autre faux ordre, il s’évada pour la dernière fois et il passa dans la sécurité de l’exil.

Juan José Caba Pedrazo s’est distingué comme fugitif et comme faussaire. IMANOL

Le cas de Lucio Urtubia est particulier. Si vous demandez dans les cercles libertaires le nom d’un faussaire, il est probable que son nom sera le premier à être mentionné. Mais si vous interrogez de vieux militants en exil, la version qu’ils vous donnent n’est pas la même que celle racontée dans les livres ou les documentaires qui lui sont consacrés. Comme ce n’est pas l’objet de cet article de démêler le véritable rôle de Lucio, tant dans la résistance que dans la clandestinité libertaire, nous nous contenterons de mentionner qu’il s’est d’abord spécialisé dans la contrefaçon de dollars américains, qu’il essaya d’obtenir la collaboration du gouvernement cubain pour en inonder les États-Unis et tenter ainsi de déstabiliser au maximum son économie.

Par la suite, la contrefaçon de monnaie étant plus punissable que la contrefaçon de chèques de voyage, il commença à fabriquer des chèques de la First National City Bank, qui ont été largement distribués en Europe et aux États-Unis par un grand groupe de personnes travaillant en binômes. Après avoir été arrêté par la police française et avoir purgé 6 mois de prison, il a fini par vendre les feuilles de papier et les feuilles de chèques susmentionnées à la City Bank elle-même, en échange d’une somme d’argent inconnue. Lucio et son réseau étaient également impliqués dans la production de faux documents pour aider les différents mouvements révolutionnaires qui opéraient dans le monde au cours des années 70 et 80.

Quant à l’Asturien Ramón Álvarez Palomo, on sait qu’il a collaboré intensivement avec le groupe Defensa Interior dans le domaine de la falsification, qu’il a été arrêté en octobre 1961 et qu’un bon nombre de faux passeports utilisés pour le franchissement des frontières ont été saisis sur lui, qu’il a été libéré un mois plus tard et que son affaire a été classée sans suite l’année suivante.

Imanol Huet

Sources : La oposición política al franquismo. De 1939 a 1952 (Hartmut Heine), Los atentados contra Franco (Eliseo Bayo), Laureano Cerrada, el empresario anarquista (Cesar Galiano), CNT : 1939-1952 (Abel Paz), Adolfo Kaminsky, una vida de falsificador (Sarah Kaminsky), La red de evasión del grupo Ponzán (Antonio Téllez), El eco de los pasos (Juan García Oliver), Ramón Álvarez Palomo : una biografía militante (Reyes Casado), Archivo de Stuart Christie, Diario El Sol 14-10-1928, Los senderos de la libertad (Pons i Prades), Republicanos españoles en la 2ª guerra mundial (Pons i Prades), El exilio invisible. Los falsificadores del PCE (Mikel Rodríguez), La resistencia libertaria (Cipriano Damiano), Café Combat (Mutis, encore inédit), Autobiografía de un falsificador (Mariano Asenjo et Victoria Ramos), Viva el maquis (Amadeo Barceló), Lucio : el anarquista irreductible (Bernard Thomas).