Le SDECE, les services secrets et les anarchistes espagnols

jeudi 20 avril 2023, par Pascual

Le SDECE : une histoire intime (1945-1982)

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Les œuvres, les errances, les faits et les méfaits, les opérations « homo » de feu notre Service de documentation extérieure et de contre-espionnage relèvent désormais de l’histoire. Tout comme la CIA, le MI6 britannique ou les services de l’Est, les uns soutenant les nationalistes basques, y inclus le terrorisme de l’ETA (la CIA), ou celui de l’ultra-gauche marxisante européenne (les services de l’Est), le SDECE fit, lui, entre autres, dans l’antifranquisme.

Dès qu’on évoque le SDECE, mes cinq sens sont mis en éveil, ne serait-ce que parce que j’ai passé les vingt-sept premières années de ma vie à l’ombre des murs de la « Piscine », lieu emblématique du boulevard Mortier. Même pendant mes vacances en Loire-Atlantique, à quelque kilomètres de Pornic où le SDECE avait établi à Pornic un village de toile pour ses personnels...

Le SDECE est tellement passé à l’histoire que, dans le numéro 69 de la revue Guerre & Histoire d’octobre 2022, on y mentionne en toute quiétude l’appartenance d’un militaire au SDECE, dans le cadre d’un entretien avec un vieux général (86 ans), Pierre Latanne, alors sous-lieutenant en Indochine, fait prisonnier à Dien Bien Phu.
La courte biographie indique qu’il y entra après l’Algérie, en 1962. Précisant même qu’il travailla sur les milieux républicains espagnols et les Basques, puis qu’il fut affecté en Espagne toujours pour le SDECE, avant de s’envoler pour le Brésil et le Togo.

Pierre Latanne

Que le SDECE agisse à l’étranger, cela est dans l’ordre des choses et c’est même l’essentiel de sa mission puisque le contre-espionnage et le renseignement, y compris la manipulation et l’infiltration, sur le territoire national, relevaient des seules compétences de la DST et des Renseignements généraux.
A la limite, que le SDECE « travaille » sur les milieux républicains espagnols en exil pour rechercher de l’information – qu’ils négocieront avec leurs homologues franquistes (le CESID) − ou pour recruter des agents qu’ils enverraient en Espagne, pourquoi pas. Mais cela mérite pour le moins d’en savoir plus sur les liens entre le SDECE et les « milieux républicains espagnols et les Basques ».
J’ai alors songé à expérimenter le moteur de recherche Bing de Microsoft fondé sur les dernières recherches en intelligence artificielle car les sources écrites sur la question sont minimes.
Le principe de Bing est simple : on formule une question, il fait une réponse personnalisée en balayant la Toile et les données disponibles. Mais il ne peut pas inventer ce qui n’existe pas.

Première recherche :

Bienvenue chez nous ! De quoi voulez-vous parler ?
Message reçu.
bureau des basques et des républicains espagnols SDECE
Message envoyé. bureau des basques et des républicains
Recherche de « bureau des basques et des républicains espagnols SDECE »
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Bonjour, ceci est Bing. Je peux vous aider à trouver des informations sur le bureau des basques et des républicains espagnols SDECE. Voici ce que j’ai trouvé sur le web :
Le bureau des basques et des républicains espagnols SDECE était une section du service de renseignement français créée en 1944 pour recruter et former des agents parmi les réfugiés de la guerre d’Espagne. Ces agents étaient chargés d’infiltrer l’Espagne franquiste et de soutenir la résistance intérieure espagnol. Le bureau a été dissous en 1956 après le rapprochement entre la France et l’Espagne.

Deuxième recherche en demandant : bureau des anarchistes espagnols du SDECE (en supposant qu’il en existait peut-être un). Plusieurs réponses obtenues, en français et en anglais :

Message envoyé. bureau des anarchistes espagnols du SDECE
Recherche de « bureau des anarchistes espagnols du SDECE »
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Le bureau des anarchistes espagnols du SDECE était une sous-section du bureau des basques et des républicains espagnols SDECE qui regroupait des agents issus du mouvement anarchiste en Espagne1. Ces agents étaient impliqués dans des actions de sabotage, de propagande et de soutien aux groupes libertaires espagnols qui résistaient au régime franquiste.

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The SDECE was France’s external intelligence agency from 1945 to 198212. It was involved in several covert operations against Franco’s regime in Spain, such as supporting the Spanish Republican exiles and their guerrilla activities, sabotaging Spanish military installations and facilities, and allegedly plotting to assassinate Franco himself.

The SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) was the French external intelligence agency from 1944 to 1982. In 1962, it was involved in a plot to assassinate Francisco Franco, the dictator of Spain who had suppressed the anarchists and other opponents during and after the Spanish Civil War (1936-1939). The plot was carried out by a group of Spanish anarchists who had infiltrated Franco’s security forces and planted explosives under his bed. However, the plan failed because Franco changed his sleeping quarters at the last minute. The SDECE had provided logistical support and weapons to the anarchists, hoping to destabilize Franco’s regime and prevent him from acquiring nuclear weapons. The plot was later exposed by a former SDECE agent who defected to the Soviet Union.

Traduction : Le SDECE a été l’agence française de renseignement extérieur de 1945 à 1982. Il a été impliqué dans plusieurs opérations secrètes contre le régime de Franco en Espagne, comme le soutien aux exilés républicains espagnols et à leurs activités de guérilla, le sabotage d’installations et d’équipements militaires espagnols et le prétendu complot d’assassinat de Franco lui-même.
Le SDECE (Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage) a été l’agence française de renseignement extérieur de 1944 à 1982. En 1962, il a été impliqué dans un complot visant à assassiner Francisco Franco, le dictateur espagnol qui avait réprimé les anarchistes et d’autres opposants pendant et après la guerre civile espagnole (1936-1939). Le complot a été mis en œuvre par un groupe d’anarchistes espagnols qui avaient infiltré les forces de sécurité de Franco et placé des explosifs sous son lit. Cependant, le plan a échoué parce que Franco a changé de chambre à la dernière minute. Le SDECE avait fourni un soutien logistique et des armes aux anarchistes, dans l’espoir de déstabiliser le régime de Franco et de l’empêcher d’acquérir des armes nucléaires. Le complot a été révélé plus tard par un ancien agent du SDECE qui a fait défection en Union soviétique.

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The SDECE was France’s external intelligence agency from 1945 to 198212. It was involved in several covert operations against Franco’s regime in Spain, such as supporting the Spanish Republican exiles and their guerrilla activities, sabotaging Spanish military installations and facilities, and allegedly plotting to assassinate Franco himself.

From web search results :
The bureau surveillance anarchistes espagnols du SDECE (Spanish anarchists surveillance office of the SDECE) was a unit within the French intelligence service that monitored the activities and movements of the Spanish anarchists who lived in exile in France after the Spanish Civil War. The anarchists were considered a potential threat to the Franco regime and its allies, as well as a source of social unrest and radicalism in France. The bureau was created in 1962, following a series of bombings and attacks carried out by anarchist groups against Francoist targets. The bureau collected information on the anarchist organizations, leaders, publications and networks23, and cooperated with other French and foreign services to prevent further violence.

Traduction : Le SDECE a été l’agence française de renseignement extérieur de 1945 à 1982. Il a été impliqué dans plusieurs opérations secrètes contre le régime de Franco en Espagne, comme le soutien aux exilés républicains espagnols et à leurs activités de guérilla, le sabotage d’installations et d’équipements militaires espagnols et le prétendu complot d’assassinat de Franco lui-même.

Résultats de la recherche sur le web :
Traduction : Le bureau de surveillance anarchistes espagnols du SDECE était une unité du service de renseignement français qui surveillait les activités et les mouvements des anarchistes espagnols qui vivaient en exil en France après la guerre civile espagnole. Les anarchistes étaient considérés comme une menace potentielle pour le régime franquiste et ses alliés, ainsi que comme une source d’agitation sociale et de radicalisme en France. Le bureau a été créé en 1962, à la suite d’une série d’attentats à la bombe et d’attaques menées par des groupes anarchistes contre des cibles franquistes. Le bureau a recueilli des informations sur les organisations, les dirigeants, les publications et les réseaux anarchistes et a coopéré avec d’autres services français et étrangers pour prévenir d’autres violences.

Cette dernière réponse nous intéresse plus particulièrement car elle renvoie aux actions menées en Espagne par le DI, Défense intérieure (1962-1964), l’organisme conspiratif créé en 1961 par le Mouvement libertaire espagnol sous l’impulsion des Jeunesses libertaires. Et jusqu’à présent nous n’avions pas la « preuve » que le SDECE y avait consacré une partie de son activité.
En toute logique, le SDECE a également dû « travailler » sur le Grupo Primo de Mayo et les GARI (Groupes d’action révolutionnaire internationaliste), le premier ayant succédé en 1965 au DI après sa dissolution par la CNT-Belfort et l’entrée en dissidence des Jeunesses libertaires ibériques que mena Octavio Alberola, le second prenant la relève du MIL (Mouvement ibérique de libération) après l’arrestation de Puig Antich en septembre 1973 (qui sera exécuté le 3 mai 1974). Les GARI présentant la particularité de regrouper des anciens du DI, du MIL et des groupes autonomes.

Le Grupo Primero de Mayo exista de 1965 à mai 1968. Il est l’auteur, entre autres, de l’enlèvement de Mgr Ussias, conseiller ecclésiastique de l’ambassade espagnole auprès du Vatican, le 30 avril 1966 à Rome. Quant aux GARI (1973-1974), ils procédèrent la séquestration du banquier Balthazar Suarez à Paris le 3 mai 1974.
Dans les deux cas, des arrestations s’ensuivirent en Espagne et en France. Œuvre du même délateur : Inocencio Martínez.

Troisième recherche à propos de l’interaction entre le SDECE et les anarchistes espagnols :

– Le SDECE était le service de renseignement extérieur français de 1946 à 19821.
– Les anarchistes espagnols étaient un mouvement social et politique qui a combattu contre le régime franquiste pendant et après la guerre civile espagnole.
– Il n’existe pas beaucoup de sources sur la relation entre le SDECE et les anarchistes espagnols, mais il semble que le SDECE ait eu une attitude ambivalente à leur égard.
– D’un côté, le SDECE a soutenu certains groupes de résistance antifranquiste, dont certains étaient influencés par l’anarchisme, comme l’Union nationale espagnole (UNE) ou le Front national de libération de l’Espagne (FNLE).
– De l’autre côté, le SDECE a aussi surveillé et infiltré les réseaux anarchistes espagnols en France et en Espagne, craignant qu’ils ne représentent une menace pour la stabilité politique et sociale.
– Le SDECE a également collaboré avec les services secrets espagnols pour échanger des informations et des prisonniers, ce qui a parfois conduit à l’arrestation ou à l’assassinat d’anarchistes espagnols par le régime franquiste.

Les notes dans les réponses Bing renvoient à des pages Web généralistes et aux peu d’ouvrages consacrés au SDECE. Je n’en ai trouvé que deux vraiment sérieux : Histoire secrète de la Ve République (sous la direction de Roger Faligot et Jean Guisnel, La Découverte/Poche, Paris, 2007) et La Piscine (Roger Faligot et Pascal Krop, Le Seuil, Paris,1985).

Ce qu’il faut noter c’est que le SDECE d’après-guerre était socialiste (SFIO) et déjà atlantiste et anticommuniste et qu’il est à l’origine de la nébuleuse Gladio France et le coordonnateur du réseau Stay-behind. Le SDECE s’est constitué avec les anciens des réseaux de renseignement de la Résistance en ayant soin d’en écarter les communistes et s’était donné pour mission de « former un vaste réseau de cellules dormantes pour former une résistance clandestine en cas d’invasion de la France » par les Soviétiques. Ce réseau fut supprimé en 1982 à la demande de Mitterrand et à la suite de ses dérives successives.
Juste après-guerre, le SDECE semble soutenir la guérilla antifranquiste. Jusqu’en 1956 et la normalisation des rapports avec l’Espagne, il aurait soutenu les militants antifranquistes et même protégés : les services franquistes ne viendraient pas procéder à des éliminations d’opposants sur le territoire français et les services français n’iraient pas éliminer les acteurs notoires de la Collaboration réfugiés en Espagne.
En fait, ce qui est à noter, c’est l’ambivalence du SDECE. Selon les périodes, il joue sur les deux tableaux : antifranquiste jusqu’en 1956, puis à la fois pro et anti dans les années 1960 avec le FLN et l’OAS soutenus par les services franquistes en Espagne. Mais le soutien aux communistes espagnols s’arrêtera en 1949.
Cela interroge évidemment sur le mélange des genres dans le brouillard de la lutte clandestine où la question « qui est qui ? » se pose souvent pour ses acteurs.

Pour rester sur notre sujet du SDECE et des Espagnols, Bing ne permet pas d’en savoir plus sur Pierre Latanne. En revanche, il est plus prolixe à propos d’un certain François Bistos, chef du SDECE-Toulouse et ensuite vice-consul de France à Madrid chargé des relations avec les services franquistes…

François Bistos was officially posted as vice-consul in Madrid, where he liaised with the Francoist intelligence services. The exact date of his posting is not clear, but it was probably sometime in the 1950s or early 1960s. He stayed there until he was assigned to another position within the SDECE.
Traduction : François Bistos était officiellement affecté comme vice-consul à Madrid, où il assurait la liaison avec les services de renseignement franquistes. La date exacte de son affectation n’est pas claire, mais elle se situe probablement dans les années 1950 ou au début des années 19601. Il y est resté jusqu’à ce qu’il soit affecté à un autre poste au sein du SDECE.

Bing renvoie à Wikipedia où nul n’est surpris d’apprendre que la station de Toulouse est le traditionnel poste pour l’action du SDECE en direction de l’Espagne…
Dans La Piscine (pp. 77-78), on apprend que François Bistos dirigeait un des plus importants réseaux de la Résistance dans le Sud-Ouest, le réseau Andalousie. Il a dû être en poste à Toulouse de 1946 ou 1947 à 1954. Puis il occupa de hautes fonctions au sein du SDECE avant d’être soupçonné d’être une « taupe » roumaine.

On évoquait souvent dans le cadre de la lutte des libertaires franco-espagnols contre l’OAS, puis des actions de Défense Intérieure, les « services », terme vague désignant à la fois des officines − terme tout aussi vague −, les sections manipulation-infiltration des RG ou de la DST. A présent, ces « services » ont un nom : le SDECE…

Alain Pecunia


Nous avons publié sur Memoria Libertaria un article sur le livre Les services secrets en Espagne. Répression contre le mouvement libertaire espagnol (1936-1995), de notre compagnon Juan Alcalde, publié en 1995. L’ouvrage n’a jamais été vendu en librairie.

http://memoire-libertaire.org/Les-services-secrets-contre-le-mouvement-libertaire-espagnol

Nous avons publié précédemment sur « Memoria Libertaria », un article intitulé « Les socialistes et les principaux dirigeants de la transition ont travaillé pour la CIA​ ». Ce texte abordait la question de l’ingérence de la CIA lors de ce que l’on a appelé « la transition démocratique espagnole » de la fin des années 1970.
Le livre de Juan Alcalde traite d’un sujet tout aussi sensible, les ingérences, les provocations et les manipulations des services secrets de différents pays pour déstabiliser et réprimer le mouvement libertaire espagnol de 1936 à 1995.

http://www.memoire-libertaire.org/Les-socialistes-et-les-principaux-dirigeants-de-la-transition-ont-travaille