En mémoire de notre compagnon Alain Pecunia En mémoire dʼAlain Pecunia : une vie de luttes libertaires vers lʼidéal
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Nous avons appris, par lʼintermédiaire de Tomás Ibáñez, que le lundi 6 mai, à Paris, notre compagnon Alain Pecunia nous a quittés pour rejoindre les terres de lʼIdéal libertaire, quʼil aimait tant et pour lequel il a tant lutté. C’était un exemple dʼengagement depuis sa jeunesse. Né en 1945, il eut une conscience révolutionnaire dès son plus jeune âge, à partir de 14 ans, et son œuvre reliée à lʼanarchisme, à lʼanarcho-syndicalisme, aux mouvements libertaires et son exil espagnol est importante et intense.
« Quand je suis sorti de prison le 17 août 1965, date anniversaire de lʼexécution de Joaquín et Francisco (Joaquín Delgado et Francisco Granados), laissant Ferri et Batoux en otages ainsi que tous les prisonniers, jʼétais content car cela me permettait de reprendre mes activités, mais je nʼai ressenti aucun sentiment de liberté. En relisant ma déclaration, 50 ans plus tard, je le ressens enfin. Cʼest maintenant que je viens vraiment de sortir de prison. Mais tout cela nʼa de sens que si je continue jusquʼau bout. Il ne faut jamais abandonner. »
Alain Pecunia. Octobre 2013. Source : Les Giménologues.
http://gimenologues.org
Alain Pecunia en 1965
Lʼhistoire dʼAlain Pecunia est peu connue en Espagne, bien que sa vie soit étroitement liée à lʼEspagne et à lʼantifranquisme. En 2004, il a raconté ces années dans Les ombres ardentes. Un Français de 17 ans dans les prisons franquistes. « On parle beaucoup des intellectuels qui ont lutté contre Franco, mais très peu des ouvriers et des paysans. Cʼest pourquoi jʼai écrit ce livre », commente-t-il. « À la prison de Carabanchel, jʼétais avec les paysans de Valence et les mineurs de Mieres. Je leur ai dédié Les ombres ardentes, pour que nous nʼoublions pas leurs luttes ».
Un jeune libertaire à Paris, né en 1945, rejoint dès son plus jeune âge le groupe « Vérité-Liberté » dirigé par Pierre Vidal-Naquet et le cercle libertaire Louise Michel. Au début de 1961, il rencontre lʼexilé espagnol, Paco Abarca, avec qui il formera une section anti-OAS et sera introduit dans le monde des Espagnols libertaires exilés en France. Au cours des mois suivants, il rencontrera Octavio Alberola et Luis Andrés Edo.
Cʼétaient les années où la CNT, après le congrès de Limoges à lʼété 1961, sʼétait réunifiée et avait décidé de constituer – non sans oppositions, comme celle de Federica Montseny – le groupe de Défense intérieure (DI), qui avait pour objectif de relancer la lutte contre le franquisme et dont faisaient partie à la fois dʼanciens leaders anarchistes (Cipriano Mera et Juan García Oliver) et des éléments de la nouvelle génération (Octavio Alberola). Les premières actions étaient prévues pour le printemps et lʼété 1962. La Fédération ibérique des jeunesses libertaires (FIJL) a entamé une série dʼactions symboliques contre les intérêts touristiques espagnols, comme les banques, les avions et les sièges dʼIberia, pour contraindre la presse française et internationale à parler du régime franquiste.
« LʼOpération de Printemps » (qui faisait partie dʼune vaste campagne du DI et de la FIJL fut revendiquée publiquement sous les initiales dʼun fictif CIL, Consejo Ibérico de Liberación).
À la fin du mois de mars 1963, contre lʼavis dʼAlberola, Abarca demande à Pecunia de participer à une autre opération. Le 3 avril, via Toulouse, Pecunia arrive à Barcelone avec deux charges de plastique dissimulées dans un paquet de tétines Pierrot Gourmand et des petites bouteilles dʼacide sulfurique et de chlorate de potassium dans les poches de sa veste. Cʼétait tout ce dont il avait besoin pour fabriquer deux petites bombes. À Barcelone, Pecunia prend un bateau pour Palma de Majorque, où il reste deux jours comme un touriste normal en vacances. Au retour, il place les deux « pétards » sur le bateau « Ciudad de Ibiza » : le premier nʼexplose pas, le second le fait avant que le bateau nʼarrive à Barcelone. Il nʼy a pas de blessés, seulement une petite frayeur pour une famille dʼaméricains en vacances. Pecunia réussit à prendre le train en direction de la France, mais lʼaprès-midi du 6 avril, il est arrêté à la frontière entre Port Bou et Cerbère. Il passera deux nuits au commissariat de la Via Layetana et environ trois semaines à la prison modèle de Barcelone. « Cʼétait notre guerre contre le fascisme », dit Alain Pecunia. « Mon père avait fait la résistance en France et mes arrière-grands-parents italiens étaient de la Carbonería. Tu sais, à vingt ans, nous ne pensions pas à la vieillesse ».
En 1963, dans les prisons franquistes se trouvent, Alain et deux compagnons, Guy Battoux et Bernard Ferri, arrêtés dans une autre action, après être retournés en Espagne. Pour le régime franquiste, ils constituent un commando, ce qui leur permet dʼêtre jugés lors dʼun Conseil de guerre sommaire, dirigé par le juge instructeur Antonio Balbas Planelles. Cʼest un moment délicat où le franquisme montre toute sa cruauté. Le 20 avril, Julián Grimau est exécuté et le matin du 17 août, cʼest au tour des jeunes libertaires Francisco Granados et Joaquín Delgado, accusés sans aucune preuve dʼavoir placé fin juillet deux bombes à la Direction générale de la police et au siège central du Syndicat vertical franquiste à Madrid. Ce sera un autre « crime légal » perpétré par le franquisme. Pecunia, Ferri et Battoux étaient déjà à la prison de Carabanchel au début dʼaoût. Cʼest là quʼils se sont rencontrés, en attendant le Conseil de guerre. La cellule de Pecunia se trouvait juste au-dessus des cachots où Delgado et Granados ont été maintenus pendant un peu plus dʼune semaine. « Ils sont partis seuls vers la mort », se souvient Pecunia. « Avec tous les autres détenus politiques, nous avons été en deuil pendant une semaine ».
Manifestation à Paris
Le Conseil de Guerre a finalement eu lieu le 17 octobre dans la rue du Reloj à Madrid. Le verdict était prévisible. Seul lʼavocat de Battoux, Alejandro Rebollo, qui avait déjà défendu Grimau, a fait son travail. Trente ans et un jour pour Ferri, deux peines de douze ans et un jour pour Pecunia et quinze ans et un jour pour Battoux. Le consul français à Madrid est intervenu directement, mais nʼa pas réussi à réduire la peine.
Les trois ont été envoyés dans trois prisons différentes : Cáceres, Carabanchel et Burgos. À la prison madrilène, Alain Pecunia passera près de deux ans. « La prison était lʼécole de la révolution, comme on disait à lʼépoque », se souvient-il. En 1964, dans la Sixième galerie, il y avait environ 250 détenus politiques. Cʼest là quʼil a rencontré les mineurs asturiens, les communistes du Levant, certains Catalans du PSUC (Parti socialiste unifié de catalogne), dʼautres libertaires – comme lʼécossais Stuart Christie et les trois membres de lʼAlliance syndicale ouvrière : Francisco Calle Mancilla Florián, José Cases Alfonso et Mariano Agustín Sánchez – et plusieurs membres du « Felipe », comme les socialistes Nicolás Redondo et Nicolás Sartorius. « En prison, nous étions tous des compagnons, même sʼil y avait des divergences politiques », note-t-il.
Sur suggestion du consul français, Pecunia signe en juillet une demande de grâce qui lui est accordée et le 17 août, il sort de prison. Son retour en France a été discret : cʼétait la condition pour que ses deux compagnons puissent aussi sortir au plus vite des prisons franquistes. Mais Ferri et Battoux devront attendre. Dans les mois suivants, Pecunia poursuit son activisme politique en participant au Comité Espagne libre et conjointement avec le futur mouvement du 22 mars de Daniel Cohn-Bendit. De plus, il rencontre lʼexilé anarchiste espagnol José Pascual Palacios, avec qui il aura des rencontres hebdomadaires pendant un an.
Lʼactivisme de Pecunia a continué également les années suivantes : la cause espagnole a marqué sa vie au moins jusquʼà la tentative de coup dʼÉtat du 23 février 1981. Il a participé à lʼAlliance syndicale ouvrière et au Comité Espagne libre. En 1978, Luis Andrés Edo lui a proposé de retourner en Espagne, libéré par la CNT, mais il a refusé : « Je ne me voyais pas dans ce rôle », dit Pecunia. À partir du début des années quatre-vingt, Alain Pecunia se consacre surtout à lʼécriture et à son travail de correcteur dʼimprimerie. Dans son livre, on trouve une phrase quʼil a dite à ses compagnons anarchistes français dans les années soixante : « Le fascisme de demain saura inventer le fascisme sans aucun détenu, sans aucune torture. Parce quʼil aura su sʼinsinuer dans chaque tête par manipulation ou conditionnement psychologique et aura su convaincre de lʼinutilité de toute tentative en faveur dʼun autre monde possible. Et ce sera le plus dangereux ». En regardant lʼactualité, peut-être qu’Alain Pecunia nʼavait pas tort.
« TOI, TA PERSONNALITÉ, TON ACTION, TA VIE ET TON ENGAGEMENT, RESTERONT DANS NOS CŒURS LIBERTAIRES, CHER ALAIN, ENVOLE-TOI, ENVOLE-TOI HAUT JUSQUʼÀ TE FONDRE DANS LʼUNIVERS DE LʼANARCHIE. »
Mai 2024. Joan Pinyana Mormeneo. Groupe Memoria Libertaria de la CGT (Confédération générale du travail)
Traduction : Daniel Pinós
Alain Pecunia, Les ombres ardentes. Un français de 17 ans dans les prisons franquistes, éditions Cheminements, collection Mémoire, 2004, 324 pages, 22 euros.
Alain Pecunia, Le pouvoir ne se partage pas ! - Approche de la guerre civile espagnole (1936-1939), 2020, Atelier de création libertaire, 112 pages, 7 euros
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Bulletin extérieur de la FIJL consacré à Delgado y Granados
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