Pepita Laguarda (1919-1936)

mardi 17 novembre 2020, par memoria

Pepita Laguarda (1919-1936), la plus jeune milicienne de la CNT à être morte au combat pendant la guerre civile espagnole

Elle s’est enfuie de chez elle et en compagnie de son petit ami, Juan López Carvajal, elle s’est enrôlée dans la colonne confédérale Ascaso pour mourir sur le front de Huesca le premier jour des combats.
Pepita Laguarda Batet a été tuée pendant l’été meurtrier de 1936 à l’âge de 17 ans. Cette jeune catalane vivant à Barcelone avait répondu à l’appel de la CNT afin de combattre le coup d’État militaire du 18 juillet 1936. Elle est morte sur les lignes de front un matin de début septembre 1936 dans les environs de la ville de Huesca. 
L’histoire de Pepita Laguarda est l’histoire d’un idéalisme brisé par la guerre civile. Non seulement, on peut être impressionné par son jeune âge, mais aussi par son courage. Elle a rejoint les tranchées en première ligne. Là où elle finit par perdre la vie entourée de ses compagnons. 
On sait peu de choses sur les femmes qui ont combattu au front durant la guerre civile espagnole et sur le nombre total de femmes qui ont préféré manier un fusil et se battre pour l’Espagne à laquelle elles croyaient plutôt que de rester à l’arrière.
Mon ami Hélios, le fils de Juan López Carvajal m’a fait parvenir ces deux textes qui évoquent la brève histoire d’amour de Pepita et Juan. Une nouvelle et un documentaire sont actuellement en préparation en France et en Espagne sur Pepita et Juan.

Daniel Pinós


Un dialogue à travers les générations ou une belle histoire


Ce 12 janvier 2019, j’ai reçu un courriel d’un certain Ramón (de Manresa, province de Barcelone) qui évoquait l’histoire de la sœur de son grand-père.
En quoi étais-je concerné ?
Cette sœur est morte le 1er septembre 1936 et était alors âgée de 17 ans et on l’appelait Pepita. Le grand-père de mon interlocuteur était alors âgé de 14 ans. Aussitôt, en un éclair, je réagis, oui, il s’agissait bien de la fiancée d’alors de mon père.
Comment Ramon avait-il fait le lien avec moi ? Comment avait-il eu mon courriel ?

De gauche à droite Pere, sa sœur Pepita et Juan

Le 18 juillet 1936, Juan (c’est le prénom de mon père.) se trouvait chez sa fiancée Pepita, lorsqu’il entendit à la radio les proclamations des confédérations syndicales UGT et CNT appelant à arrêter le coup d’État des généraux putschistes. Aussitôt, il prit le métro pour se rendre au siège de son syndicat.
Sa fiancée Pepita était une toute jeune fille de 17 ans, militante et décidée malgré son jeune âge, elle était révoltée par les injustices sociales qu’elle vivait autour d’elle. 
Ce jour d’août 1936, au cœur de la révolution espagnole à Barcelone, Pepita, décida de s’enrôler dans une colonne anarchiste. Elle en parla à son fiancé, Juan, âgé de 22 ans. Ce dernier lui répondit : « Si tu y vas, j’y vais aussi ». Ils s’inscrivirent à Pedralbes, à la caserne Miguel Bakounine, ils furent enregistrés dans le groupe 45 de la cinquième centurie de la colonne Francisco Ascaso.
 
C’est ainsi que le couple se retrouva quelques jours après sur le front de Huesca, à Vicién. Entre-temps, le fiancé de Pepita avait écrit une lettre aux parents de la jeune fille, pour qu’ils envoient un télégramme au chef de la colonne prétextant que son père était gravement malade, afin de la faire rapatrier. Ses parents ne reçurent jamais cette lettre. À ce moment, Juan se retrouva à l’infirmerie avec une infection intestinale. La jeune fille l’informa qu’elle partait à l’attaque avec une auto blindée. Une auto-blindée ? C’est beaucoup dire ! Il s’agissait de véhicules ordinaires auxquels ont avait ajouté des plaques de métal de 5 mm.
L’ambulance transportant le premier blessé, arriva avec Pepita qui se plaignait du ventre. Une balle l’avait atteint par le haut du dos. Elle fut transportée vers Grañen à plus de 20 km de là. Un médecin constata qu’elle avait perdu beaucoup de sang. Juan López proposa de donner son sang, mais il était trop tard. Elle mourut.

Hélios Lopez

Courriel de Ramón à Hélios (28 mars 2020) :


Un an et demi avant la mort de mon grand-père, le 30 juin 2013, J’avais alors 37 ans. Je voulus savoir, ce qu’il en était de la sœur aînée de mon grand-père. Alors je cherchais sur un moteur de recherche. Une paire de documents inespérés apparurent, ils éveillèrent en moi une intense émotion, il s’agissait d’informations qui allaient au-delà de ce que j’avais obtenu de ma famille.
Il s’agissait d’un article de Solidaridad Obrera dans son numéro 1378, en date du 13 septembre 1936 qui portait à la connaissance des lecteurs la mort sur le front d’Aragon de Pepita et d’un autre texte dont l’auteur était Hélios. Il s’agissait d’un texte posthume de remerciements qui relatait l’intense vie de son père Juan, un militant anarcho-syndicaliste qui débuta son périple avant la guerre civile, puis en compagnie de Pépita, ensuite il survécut à la défaite républicaine antifasciste en s’exilant en France.

Jusqu’à cet instant dans lequel je me décidais à savoir quelle avait été la vie de Pepita, l’unique information que je possédais, c’était que mon grand-père avait eu une sœur aînée qui mourut à Grañén, sur le front d’Aragon à l’âge de 17 ans. Mon grand-père disait qu’elle était anarchiste, « et très révolutionnaire ». Lui avait à ce moment 14 ans. Il la décrivait comme une bonne personne, avec un fort caractère, joyeuse et pleine d’initiatives. 
Bien plus tard, lors de mes visites dans la maison de mes grands-parents, apparut, comme venue du néant, une photo avec le visage de Pepita au regard fixe et le cheveu noir. Sous la photographie, on pouvait lire, imprimé en lettres rouges, son nom Pepita Laguarda Batet et les sigles : C.N.T. et A.I.T. avec ce texte : « Elle tomba pour toujours en défense de la liberté et contre le fascisme, le 1er septembre 1936 aux portes de Huesca ». Au revers de la photo, il y avait un message de condoléances écrit et signé par Juan López Carvajal, son compagnon et frère de combat.

Cet écrit était daté du 13 novembre 1936, presque deux mois et demi après la mort de Pepita. Il était rédigé ainsi : « À Pedro, avec cette lettre reçois mon plus affectueux salut, je partage avec toi la douleur de la perte irréparable d’un être aimé (…) ».
Sans doute, c’était un précieux souvenir que mon aïeul conserva tout au long des années avant de mourir en juin 2015 et qui passa dans les mains de son unique fille Odile (ma mère).
À cela, s’ajoute ma vague connaissance (ou plutôt la méconnaissance) de la Guerre Civile Espagnole. Carence qui peut-être attribuée à un régime qui a fait tout son possible pour enterrer la vérité sur les faits déterminant de la guerre civile, même après la mort du dictateur..
Ma curiosité pour Pepita n’est pas allée au-delà de cette nuit de juin 2013, comme je l’écris au début de ce texte, je décidais de fouiller les fonds infinis des « océans » de l’information (qui ne sont pas toutes vraies). Je tombais sur des textes qui remuèrent ma curiosité. 
Cet homme que mentionnait l’article du journal ne pouvait être un autre que celui qui de sa propre main fit connaître sa peine à mon grand-père pour la mort de sa sœur : Juan. Je partageais alors mes pensées avec ma mère. Je lui renvoyais les divers textes du journaliste et d’Helios López (en mémoire de son père décédé fin 2011).
Mon grand-père, Pere a vu ces divers documents imprimés et annotés par ma mère Odile, qui quoiqu’âgée de 93 ans, resta surprise et reconnaissante par le contenu des divers textes qu’elle lus attentivement. Elle ne put contenir son émotion et ne contint pas ses larmes en se rappelant ces moments où la guerre la priva de Pepita.
C’est en ces jours que je décidais de me mettre en contact avec Hélios, le fils de Juan, car nombreuses étaient les questions qui m’assaillaient.
J’ai d’abord eu des sentiments contradictoires en lisant la trajectoire de Juan dans ses mémoires. Deux âmes jeunes avec les mêmes idéaux et séparés par des destins adverses. Elle, mourut trop jeune, lui survécut et de quelle manière, aux infortunes de la guerre, il réussit à se forger un destin, de manière tenace et persistante pour vivre et maintenir ses idéaux intacts. 
Il me vint une grande admiration pour Juan. Rien ne fut facile au long de sa longue vie, de sa naissance à son émigration avec sa famille à Barcelone, en passant par la perte prématurée de sa mère, la cruauté de la guerre et de la déroute, l’exil loin de ses proches.
Sa vie méritait bien de figurer dans un livre.