Victor Simal est parti. Adiu, graine d’anar

mardi 24 mai 2022, par Pascual

Nous reproduisons ici l’article consacré par La Semaine du Rousillon à notre ami et compagnon Victor Simal.

C’était un rituel à deux balles : « Comment ça va ? Pas Simal » qui rythmait nos rencontres durant les quelques dix ans de coopération. L’échange ne se fera plus. Victor Simal est parti ce 17 mai sans bruit à près de 77 ans. Il a été tour à tour, ouvrier agricole, journaliste et caméraman à M6 entre autres, cuisinier, puis chroniqueur à La Semaine du Roussillon, sans jamais s’écarter de son sillon libertaire. Mêmes les tortures subies sous les geôles franquiste en 1978 ne lui feront pas dévier de sa ligne. Ce révolté perpétuel était aussi et surtout un amoureux de la vie, des gens, de la Catalogne, des petits instants de bonheur et de la cuisine qu’il avait pour passion. Sa générosité trop grande aura raison de son restaurant ouvert à Collioure en 1997, « Je payais trop mes employés et j’en mettais trop dans les assiettes » plaisantait t-il. Victor Simal rédigea durant plus de dix ans, avant que la maladie ne l’en empêche, des chroniques culinaires pour nôtre hebdomadaire. Plus qu’elles, c’est son humanité, sa gentillesse, ses excès de révolte souvent justifiés et son humour perpétuel qui vont désormais nous manquer définitivement. Adiù, graine d’anar.
A ses amis, à sa famille, La Semaine présente toutes ses condoléances.
A.G.

La Semaine du Roussillon lui avait consacré un beau portrait en janvier 2010, sous la plume de Fanny Linarès. Le voici, histoire de se rappeler le parcours d’un homme qui était tout sauf ordinaire.

Victor Simal. Libre

En retraité hédoniste, il nous livre ses « recettes de Victor » dans la Semaine du Roussillon. Mais derrière le gourmet se cache un ancien militant anti-franquiste, « passeur » d’exilés, qui a connu les joies des geôles espagnoles. Dans une autre vie encore, Victor Simal a bourlingué sur les cinq continents, caméra à l’épaule, pour M6. Rencontre, comme il se doit, devant un plat. [F.L.]

Papilles aux aguets, fourchette à la main, Victor se lance. Entre deux bouchées, il déroule le fil de son histoire personnelle. En cuisine comme dans la vie, le « Monsieur Recettes » de la Semaine voue une profonde tendresse à la Catalogne, ce pays-frontière qui a vu passer ses parents exilés en 1939… Et enterré sa sœur. Une aînée inconnue, morte dans le froid et l’inconfort du camp de concentration d’Argelès sur mer. Cette Catalogne nord qui a tant marqué son histoire familiale, Victor y reviendra toujours. Mais c’est dans les années 1970 qu’il y pose ses valises pour la première fois, après une enfance normande, un premier boulot de photographe, puis de taxi parisien. Ici, sur ce petit bout de territoire où l’on parle la langue maternelle, le jeune homme se découvre des repères.

« J’avais ma conscience politique, je savais où était l’ennemi »

Très vite, il prend contact avec les anarchistes locaux. En cette période post-soixante-huitarde, Victor est certes baba, « mais pas baba-cool, baba-hard » plaisante-t-il. « J’avais ma conscience politique, je savais où était l’ennemi ». Avec des copains militants anti-nucléaire, il crée le Mouvement Ecologiste Catalan. Il se bat contre le projet de mines d’uranium près d’Ille-sur-Têt. Mais aussi et surtout, il fait partie d’un réseau de « passeurs », qui aident les Espagnols à fuir le Franquisme. « On essayait de leur obtenir la régularisation des papiers, un boulot, de l’argent » explique-t-il. Car en cette fin des années 70, contrairement à ce que l’Histoire a tendance à oublier, « Franco est mort, mais pas le franquisme ». Le jeune libertaire en fait la douloureuse expérience en 1978. Un jour, il reçoit un coup de fil. « Un groupe de copains de Barcelone était tombé ». Victor doit se rendre avec un autre militant au fin fond du Vallespir, pour faire passer un groupe. Ils traversent la frontière et arrivent au lieu de rendez-vous, un mas espagnol. Là, la guardia civil les attend, armée. Les deux jeunes Français sont embarqués et emprisonnés eux aussi à Barcelone. « C’était la prison Model, quel modèle » ironise-t-il.

Torture et tentative d’évasion

Là, Victor endure cinq jours de torture. On lui met un sac sur la tête et on le serre jusqu’à ce qu’il commence à défaillir. On le menotte dans le dos et on le roue de coups de pieds. On le suspend au plafond par les menottes, en lui laissant toucher le sol uniquement par la pointe des pieds. On ne lui donne ni à boire ni à manger. Mais Victor ne lâche aucun nom. « Et je ne pourrai jamais reprocher à quelqu’un d’avoir parlé sous la torture » s’empresse-t-il d’ajouter. S’en suivent neuf mois d’incarcération. Pendant que des manifestations et des concerts se déroulent dans toute l’Europe, en soutien à la douzaine de militants emprisonnés dont il fait partie, Victor découvre l’univers carcéral sous Franco. Contrairement aux stéréotypes, à l’intérieur, une grande solidarité s’organise. « Il y avait la COPEL, un syndicat de détenus hyperpuissant. On avait créé une cellule solidarité, on accueillait les mecs qui arrivaient. Il y avait un système de caution pour les petites peines qui n’avaient pas d’argent, on les fournissait en produits de base ». Pendant ces neufs mois, Victor réalise trois grèves de la faim de trente jours chacune, … et une tentative d’évasion ! Un tunnel, creusé par d’autres prisonniers doit offrir la liberté à tous, par les égouts. Mais le jour J, « on a d’abord fait passer les lourdes peines. 40 mecs se sont évadés. Mais ils ne nous ont pas attendus et ils sont sortis. Nous, on aurait dû être les dix suivants. » Finalement, c’est fin novembre, en pleine grève de la faim, que les Français sont relâchés. Victor ne tient pas compte de son assignation à résidence en Espagne en attendant le procès, et se dépêche de rentrer en France. Il y retrouve avec joie ses deux enfants. Le fait d’avoir « laissé les autres en tôle, alors que tu es dehors », ne lui en est pas moins insupportable.

« Le matin, tu es avec les SDF, et le soir à un cocktail avec Mitterrand »

Sa grande passion, le journalisme, Victor y vient un peu par hasard… Par « miracle » dit-il. Alors qu’il fabrique des objets en bois, fait les cueillettes et les vendanges pour vivre, un soir, un ami lui présente un caméraman. Toute la soirée, il entend parler avec passion de ce métier. Victor s’enthousiasme, et file suivre une formation à Montpellier. De retour dans les P.O., il monte une association, « Video Action ». Il forme à son tour, réalise des reportages. Puis, en 1984, monte sur Paris pour se lancer dans une grande aventure… Celle de la « petite chaîne qui monte ». M6 a été créée à peine six mois auparavant, et elle recrute à tour de bras. Tout est alors à réaliser. Victor participe avec enthousiasme à cette effervescence des débuts. Il voyage dans toute la France. Il tourne de nombreux sujets d’actualité pour le « Six minutes », se lance dans des reportages plus longs pour Zone Interdite, travaille pour les émissions de cinéma, E=M6,… Et bourlingue sur les cinq continents. Son pire souvenir ? Le Rwanda. Pendant un mois, il fait la navette entre ce pays en pleine tragédie et le Zaïre. Avec une collègue, il réalise un reportage intitulé « Kibumba, le camp de la mort ». « A cinq kilomètres du camp, tu savais… A cause de l’odeur. Les cadavres étaient charriés au bulldozer ». Au quotidien, Victor vit intensément ses reportages. « C’est un métier qu’on ne peut faire qu’avec passion. Sinon, tu vas ailleurs. Le matin, tu es avec les SDF sous Beaubourg, et le soir à un cocktail avec Mitterrand. Je pense qu’il n’y a que dans ce métier qu’on peut traverser la société comme ça ». Pendant toutes ces années, Victor met un point d’honneur à ne pas mêler ses idées politiques à son métier. A M6, une seule personne, un ami, connaît son passé sulfureux. Mais un jour, en 1989, on l’envoie sur un reportage en Espagne. Il s’agit de filmer les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Or Victor ne s’étant pas présenté à son procès, il est toujours recherché. Cerise sur le gâteau, en montant dans l’avion, il apprend que le Pape doit se rendre sur place. Il sait que des policiers seront postés à tous les coins de rue.

Rattrapé par son passé

A son arrivée à la douane espagnole, Victor traîne des pieds. Au contrôle, il prétexte que ses papiers sont dans ses bagages. On lui demande de les ramener… Ce dont il se garde bien. Le soir même, ce sont six policiers armés jusqu’aux dents qui frappent à la porte de sa chambre d’hôtel. Retour à la case prison, à Madrid cette fois. Pas de chance, nous sommes fin août, en pleines vacances judiciaires. Début septembre, on finit par nommer un procureur… Assassiné peu après par l’ETA. Finalement, mi-octobre, il est libéré sous caution et assigné à résidence à Madrid. Pendant un mois, il travaille pour TV3. Puis vient son jugement ; il est alors acquitté. De retour en France, M6 lui fait la fleur de le reprendre dans l’équipe. En 1997, nouvelle escapade, moins sulfureuse celle-ci. Victor s’adonne à son autre passion, la cuisine, en ouvrant un restaurant à Collioure. Une nouvelle vie qui, au bout de sept mois, s’achève par une banqueroute. « Je payais trop mes employés et j’en mettais trop dans les assiettes » plaisante-t-il. Une nouvelle fois, M6 le reprend. Mais au début des années 2000, Victor finit par jeter l’éponge et quitte une fois de plus sa vie parisienne. « J’avais envie de revenir ici et je ne me retrouvais plus dans la chaîne. Elle était en train de devenir une chaîne normale ». Peu après, il enclenche l’expérience Perpignan Info, « si on peut appeler ça bosser. Ça n’a pas été ma plus belle expérience audiovisuelle ! » précise-t-il. Au bout de quelque temps, la télé de la ville de Perpignan est devenue pratiquement impossible à capter. Les journalistes de la chaîne, qui tentent de réaliser un travail d’information, dérangent. On leur supprime ordinateurs, caméras, téléphones. Même le nom de la chaîne, change. Perpignan Info devient Perpignan TV. L’aventure se termine dans une ambiance délétère. A 65 ans, Victor a aujourd’hui pris sa retraite, du journalisme comme de l’activisme politique. Il se consacre désormais à ses proches et à ses produits de saison. Pour autant, celui qui n’a jamais été encarté nulle part sait qui il est. Libertaire. Et libre.

Victor Simal, en bref

Sa lutte : anti-franquiste

Son plus dur reportage : le Rwanda

Ses premiers pas dans les médias : une radio pirate, avec des copains

Son film préféré : « Le camp d’Argelès » de Felip Solé, auquel il a participé. « Trois semaines de boulot les larmes aux yeux, sur cette plage où ma sœur est morte »

Son livre : « l’Etranger » de Camus

Sa chanson : « A las barricadas » par Serge Utgé-Royo

Son plat : la Fideuà, s’il ne fallait citer qu’elle…

Son lieu : Collioure, « c’est fabuleux, qu’il pleuve ou qu’il vente »


Écoutez la chanson « Une énorme boule rouge ».
Texte Victor Simal et Serge Utgé-Royo, musique Serge Utgé-Royo, orchestration Léo Nissim, enregistré au Vingtième Théâtre le 18 novembre 2014.