Cet hommage, rendu au compagnon récemment disparu, est pourtant très bref, mais je suis persuadé qu’il le trouverait encore trop long, car il était tout à l’opposé de ceux et de celles qui aiment s’afficher et se mettre en avant. Sa manière d’être le situait plutôt dans la foulée des personnes qui se font un point d’honneur d’être discrètement et constamment présentes et actives tout au long de l’inépuisable marche du mouvement libertaire.
Né le 23 octobre 1929 à Cabra del Campo dans la province de Tarragone José Morato fut l’un de ces enfants que le coup d’État fasciste du général Franco arracha à leur village et expulsa vers la France.
Âgé de 9 ans, c’est en compagnie de sa mère qu’il franchit les Pyrénées en 1939 et fut envoyé dans un centre d’hébergement du village de Leluc dans le Var. Plus tard, la famille se regroupa à Perpignan puis émigra en Dordogne où José fit sa scolarité avant de partir vers Paris en 1949 où il fréquenta les jeunesses libertaires de l’exil espagnol.
Ce fut dans la mouvance de cet exil libertaire espagnol que lors d’un voyage à Toulouse, il connut Montserrat Turtos qui devint sa compagne et le rejoignit en 1952 avant que tous deux ne partent s’installer à Perpignan pour quelques années. De retour à Paris, ils se logèrent en 1960 dans un appartement du boulevard de la Villette qui devint très vite un lieu d’accueil et de réunions pour les membres de la Fédération Ibérique des Jeunesses Libertaires (FIJL) les plus directement impliqués dans la lutte antifranquiste. Un lieu d’accueil familial et chaleureux où la solidarité et l’engagement du couple Morato-Turtos se prodiguaient sans réserve.
Cet engagement amena Montserrat à entreprendre en 1962 un dangereux voyage en Espagne pour établir des contacts avec les jeunes militants de Barcelone et de Saragosse, peu de temps après, ce fut José qui fut arrêté par la police française à Perpignan le 23 août 1963 lors des actions pour protester contre l’exécution au garrot des jeunes libertaires Granado et Delgado en Espagne. Transféré à la prison de la Santé avec nombre d’autres jeunes libertaires espagnols sous l’accusation d’association de malfaiteurs, il n’en sortit qu’en janvier 1964 après que quelques mois auparavant la FIJL fut mise hors la loi.
Cela n’entama pas la volonté de lutte ni de José ni de Montserrat dont l’appartement de la rue de la Villette servit à nouveau de lieu de rencontre pour mettre sur pied pendant l’année 1965 le lancement de la revue Presencia. Tribuna Libertaria.
En 1966, le couple abandonne cet appartement pour s’installer dans un HLM au Prés Saint Gervais, qui fut à nouveau un lieu fraternel de rencontres et de réunions. C’est, par exemple dans cet appartement que se créa en 1970 le collectif éditorial « La Hormiga » qui publia le livre de Vernon Richard Enseñanzas de la revolución española, puis celui d’Antonio Tellez Sabaté. La guerrilla urbana en España.
Bien entendu, la fin de la dictature espagnole ne mit pas fin à la collaboration des polices françaises et espagnoles, si bien que José et quelques autres compagnons furent déportés à Belle-Île-en-Mer dans le Morbihan pour protéger la visite que le roi d’Espagne fit en France en octobre 1976.
Entre temps, le couple avait fait en 1970 l’acquisition d’un terrain à Saint-Laurent-de-la-Salanque qui devint un lieu de passage et de convivial rassemblement libertaire pendant les mois d’été, tentes de camping à l’appui, tout au long d’une quarantaine d’années.
Ce fut aussi dans les activités du mouvement libertaire en France que José s’impliqua, participant, par exemple, au COJRA dans les années 1980.
Après sa retraite, c’est à Saint-Laurent-de-la-Salanque qu’il s’installa en 2003 et, bien entendu, c’est lui qui en tant que résidant dans cette commune faisait les démarches pour l’autorisation des fêtes annuelles de la CNT-66.
Sans stridences, sans désirs de protagonisme, en toute simplicité, après une présence constante, discrète et solidaire dans la mouvance libertaire, José Morato nous a quitté le 23 octobre 2022 à l’âge de 93 ans.
Tomás Ibáñez