Hommage à Luciano Allende, déporté à Neuengamme

lundi 30 janvier 2023, par Pascual

« La guerre n’est pas un roman d’aventures, c’est une tragédie ».

Max Hastings

« Tout ce que nous pouvons faire pour justifier tant de souffrance et tant de morts, c’est de porter leurs espoirs avec nous, de veiller à ce que ces espoirs ne soient pas déçus, et que ces morts ne soient pas seuls. »

Albert Camus


Luciano Allende

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L’homme qui porte sur son dos le corps épuisé d’un compagnon s’appelle Luciano Allende. La photo a été prise lors de la libération du camp de concentration nazi de Neuengamme.
Le 4 mai 1945, lorsque les troupes britanniques libérèrent les déportés du camp, quelque 43 000 personnes avaient péri. Luciano Allende a été photographié portant sur son dos un compagnon très malade en raison des conditions de vie endurées par les prisonniers dans ces lieux cauchemardesques.
Dans ce monde, les héros font partie de l’imaginaire collectif, nous leur donnons une signification particulière. Les héros anonymes que nous découvrons sur cette photo ne portaient ni masque ni cape, leur costume était un uniforme rayé et leur sceau d’identité était un numéro tatoué sur leur avant-bras.

Luciano Allende était un anarchiste espagnol, il franchit les Pyrénées en février 1939, comme un demi-million de personnes après avoir été vaincu par les troupes du général Franco. Depuis leur arrivée en France, ils vécurent comme des apatrides, des parias dans les baraques des camps de concentration, les baraques des camps de travail, les cabanes et les grottes dans les montagnes et les bois de tout le pays.
À partir de 1940, plusieurs dizaines de milliers d’Espagnols républicains se sont battus pour mettre fin au fascisme en Europe après avoir été vaincus durant la guerre civile.
Luciano Allende et ses compagnons antifascistes décidèrent de reprendre les armes en France pour combattre au nom de leurs idéaux internationalistes. Ils n’étaient pas seuls, d’autres étrangers rejoignirent leur lutte. Ces hommes, aujourd’hui oubliés, ont fait leur devoir pour défendre la liberté en Europe alors que l’Espagne franquiste les avait condamnés. Il n’était pas dans l’intérêt des partis politiques français de faire de ces étrangers les protagonistes du combat contre le fascisme.
Les républicains espagnols n’oublieront jamais les blessures infligées par huit années de guerre ni celles infligées par le général de Gaulle. Inquiet de l’importance prise par les Espagnols dans certaines régions, où ils étaient majoritaires dans la résistance, de Gaulle leur demanda de rentrer chez eux, oubliant ainsi les décisives batailles qu’ils avaient menées pour débarrasser l’Europe de la bête immonde.
La plupart d’entre eux ont lutté avec un objectif final, reconquérir l’Espagne. Une Espagne qu’ils pensaient libérer, après la Seconde Guerre mondiale, avec l’aide des Alliés... Il n’en fut pas ainsi. Les survivants espagnols de cette longue bataille contre le fascisme ont pu célébrer en exil la victoire à laquelle ils avaient participé, mais ils n’ont jamais pu retourner sur leurs terres et dans leurs maisons.

Dignité, solidarité et résistance

Après la Seconde Guerre mondiale, les survivants des terrains de bataille et des camps de concentration ont abandonné leurs uniformes de combattants et de déportés, ils ont repris en exil une vie « normale ». Ils ont refusé les appels des autorités militaires françaises afin qu’ils s’engagent dans une armée en partance pour l’Indochine et une nouvelle guerre coloniale. La majorité d’entre eux étaient des gens humbles, des ouvriers, des paysans et des artisans, toute leur vie, ils poursuivirent leur combat contre le fascisme.
Plusieurs dizaines de milliers de ces républicains espagnols ont combattu pour la liberté et ont été déportés et transférés dans des camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Dignité, solidarité et résistance sont les mots qui définissent le mieux ces héros anonymes.
Nous les avons côtoyés dans nos familles et dans nos cercles militants, malgré les souffrances endurées durant leurs années de guerre et de captivité, les protagonistes de ces histoires ne perdirent jamais leur sourire ni leur fierté d’avoir défendu leurs idées envers et contre tout.

On l’appelait « Toto »

Luciano Allende est né le 28 mai 1898 en Cantabrie. Il a vécu une enfance pauvre. À l’âge de 15 ans, en 1913, il émigra dans la région lyonnaise pour travailler comme verrier à Vénissieux. C’est un métier difficile, le feu brûle les yeux et le mélange de certains minéraux utilisés comme colorants brûle les poumons.
Au printemps 1914, il s’installa dans la région parisienne et travailla à la verrerie de Clichy. Il était militant et se lia d’amitié avec l’insoumis Gaston Rolland, condamné aux travaux forcés pour avoir refusé les guerres. Il était également en contact avec les militants français de l’Union anarchiste dont Louis Anderson dit Ander, administrateur du Libertaire de 1932 à 1939. Charles Louis Anderson remua ciel et terre, pendant la guerre d’Espagne, pour évacuer les enfants victimes des combats vers des lieux sûrs et des conditions de vie dignes. Dans les années 1920, Luciano Allende participa aux activités des groupes anarchistes espagnols exilés et fréquenta Buenaventura Durruti et Francisco Ascaso.
Après le coup d’État fasciste de juillet 1936, Allende retourna en Espagne pour rejoindre les troupes qui résistaient au coup d’État du général Franco au sein d’une unité de la CNT où il combattit jusqu’à la fin du conflit.
Exilé en France, en février 1939, Luciano Allende fut interné au camp d’Argelès puis à celui de Saint-Cyprien avant d’être incorporé dans les Compagnies de travailleurs étrangers (CTE). Pendant l’Occupation allemande, il s’engagea dans la résistance en Savoie sous le pseudonyme de « Toto ». Il appartenait alors à une unité appelée « Bataillon de la mort ».
Luciano rendit de nombreux services à la résistance avant d’être arrêté par la Gestapo le 18 mars 1944 à Montmélian en Savoie. Durant les interrogatoires, les Allemands ne purent rien en tirer et il fut déporté au camp de Neuengamme, une ancienne usine de briques utilisée comme une fabrique d’horreur par les SS. Sur les 106 000 personnes qui y sont passées, près de la moitié périrent.
À son retour de déportation, il milita à la fédération locale de Paris de la CNT en exil puis s’installa près d’Antibes où il exerça le métier d’apiculteur avec sa compagne Mariette.
Luciano Allende continua de militer à la CNT et à la Fédération espagnole des déportés et internés politiques (FEDIP) jusqu’à sa mort survenue à Cannes le 23 janvier 1983. Ses cendres ont été dispersées dans le jardin du militant anarchiste Paul Ferrare à Golfe Juan.

Daniel Pinós