La droite et la gauche ont interdit des milliers d’actes syndicaux tout en autorisant ceux qui glorifiaient le fascisme

mercredi 14 avril 2021, par Pascual

Selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, entre 2010 et 2019, les délégations gouvernementales ont interdit plus de 3 000 manifestations parrainées par des syndicats. Les manifestations « contre des mesures politiques et législatives » ou sur des « questions nationalistes » ont également été empêchées. Aux mêmes dates, les autorités ont toléré d’innombrables manifestations d’extrême-droite.

Dans le mouvement catholique espagnol, on connaît bien la procédure, et on s’y conforme avec une tranquillité absolue. Chaque fois qu’ils décident de descendre dans la rue pour revendiquer les crimes de la dictature, les catholiques communiquent préalablement leur acte à la délégation du gouvernement à Madrid. Peu importe le parti à la tête de l’exécutif : malgré l’historique de leurs rassemblements, les autorités laissent tout se dérouler sans le moindre problème. Aujourd’hui, l’exaltation de la dictature franquiste ne rencontre aucune difficulté d’aucune sorte dans les délégations gouvernementales.

Cependant, certaines organisations sont confrontées à une réalité diamétralement opposée lorsqu’elles passent par le processus précédant l’organisation d’une manifestation. Selon les données contenues dans les différents rapports statistiques du ministère de l’Intérieur, les délégations gouvernementales ont interdit ces dernières années une large liste de mobilisations pour des questions de « travail » ou également « contre des mesures politiques et législatives ».

Selon la réglementation en vigueur, toute personne souhaitant appeler à une manifestation doit le notifier par écrit à sa délégation gouvernementale respective – sauf en Euskadi et en Catalogne, où les pouvoirs de sécurité sont transférés aux régions – « avec un minimum de dix jours à l’avance et un maximum de trente ».

Cette communication écrite sera enregistré, outre avec les données à propos « du ou des organisateurs », « l’objet » de la mobilisation et « l’itinéraire prévu, lorsque la circulation sur la voie publique est prévue », ainsi que les « mesures de sécurité prévues par les organisateurs ou demandées par l’autorité gouvernementale ».

De même, la loi permet « d’interdire la réunion ou la manifestation ou, le cas échéant, de proposer la modification de la date, du lieu, de la durée ou de l’itinéraire » si l’on considère qu’ « il existe des raisons fondées pouvant entraîner des troubles de l’ordre public, avec danger pour les personnes ou les biens ». « La résolution doit être adoptée de manière motivée et notifiée dans un délai maximum de soixante-douze heures », explique le ministère de l’Intérieur dans la section « services aux citoyens » de son site web.

Entre 2010 et 2019 – la dernière année pour laquelle il existe des données – les délégations gouvernementales ont interdit 3 699 manifestations appelées par les syndicats. Cela se reflète dans les différents rapports statistiques annuels du ministère de l’Intérieur, qui ne comprennent pas de données plus précises sur les raisons spécifiques de ces mobilisations ni sur les raisons exactes qui ont conduit à empêcher leur réalisation.
De nombreuses manifestations sont interdites sous des motifs du genre « il y a beaucoup de circulation » dans cette rue, même si vous expliquez que vous devez aller par là parce que le ministère du travail s’y trouve. Les délégations gouvernementales ont transformé ce qui est une simple communication en un régime d’autorisation préalable, ce qui, en pratique, rend difficile l’exercice du droit de manifester.

De même, au cours des dix dernières années, 1 202 manifestations ont également été interdites si leur « motivation » était de protester « contre des mesures politiques et législatives ».

Le même sort a été réservé à 291 autres mobilisations qui, selon le ministère de l’Intérieur, avaient été convoquées pour demander la « libération de prisonniers de groupes terroristes ». Les statistiques indiquent également que 78 manifestations sur des « thèmes nationalistes » ont été interdites, un point sur lequel aucun détail supplémentaire n’est fourni. 46 autres manifestations interdites entre 2010 et 2019 sont répertoriées sous la rubrique « contre les violences sexistes ». Il y a également eu 24 autres interdictions d’événements organisés le 1er mai.

Carlos Escaño, responsable des campagnes sur la liberté d’expression à Amnesty International, a expliqué que « la communication d’une manifestation a pour but de permettre aux autorités de faciliter l’exercice de ce droit ». « Cependant, en Espagne, c’est devenu une demande d’autorisation secrète », prévient-il.

Au total, 8 592 manifestations ont été interdites pendant cette période. Outre les syndicats, parmi les organisations qui cumulent le plus d’interdictions, on trouve celles classées dans la catégorie des « associations de citoyens » (avec 2 556 procédures à leur encontre) et des « partis politiques », avec un total de 641 manifestations interdites. Dans ce dernier cas, les acronymes des organisations spécifiques qui ont été affectées n’apparaissent pas non plus.

Exaltation de Franco

Dans ce contexte, les partis d’extrême droite qui revendiquent les crimes de la dictature ne sont généralement pas confrontés à des interdictions de manifester. En témoigne le Mouvement catholique espagnol qui, le 28 mars dernier, a pu faire un tour de Madrid dans lequel il a commémoré la chute de la capitale aux mains du franquisme. Les jours précédents, la délégation gouvernementale a souligné qu’elle n’avait trouvé aucune raison d’empêcher la célébration.

Ni les obstacles rencontrés par les néonazis qui, en février dernier, sont descendus dans la rue pour célébrer la Division Azul, la Division bleue qui servit sur le front de l’Est aux côtés des Nazis. La manifestation a fini par des proclamations antisémites. Sans oublier les manifestations organisées par l’extrême-droite chaque 18 juillet, date du coup d’État de Franco en 1936 et chaque 20 novembre, jour de la mort du dictateur. Ces rassemblements permettent de revendiquer publiquement les crimes de la dictature.

À Santander, par exemple, la délégation gouvernementale n’a observé aucun obstacle pour empêcher la parade ultra qui, le 18 juillet 2019, a déambulé dans le centre de la ville pour commémorer le coup d’État contre la démocratie. « Les mémocrates (sic) sont choqués », ironisait alors le Mouvement catholique espagnol. En septembre 2017, la délégation du gouvernement en Cantabrie avait également autorisé une manifestation xénophobe du groupe d’extrême droite Alfonso I, qui défilait sous le slogan « Pour l’Espagne, pour notre peuple. Priorité nationale ».

Lorsqu’une organisations est étiquetée comme étant d’extrême gauche, il est très facile pour la délégation gouvernementale d’interdire des manifestations. Tout indique qu’avec l’extrême droite, il y a un comportement plus laxiste qu’avec d’autres organisations. Vox ou des entités comme La Phalange ou d’autres, par leur nature même, ne demandent pas la permission pour organiser des manifestations.

En Espagne, il y a un manque de réglementation sur la possibilité d’exalter une dictature criminelle comme le franquisme. Tout cela s’inscrit dans la continuité historique d’un régime de « transition » mis en place en 1978 par les partis de droite et de gauche et dans le cadre d’une constitution toujours en vigueur qui a toujours empêché de poursuivre les crimes commis par les fascistes. En Espagne, il est facile d’interdire une manifestation, il arrive aussi que l’interprétation du trouble à l’ordre public soit très large. Tout dépend pour qui.

Daniel Pinós