Désormais génériques, les termes "Muralisme", "Fresque", "Art urbain" ou "Street Art", désignent à la fois l’émergence, le développement et la pratique de peintures réalisées dans l’espace public, comme des moyens de dire, de crier, de parler du quotidien ou de sortir l’art dans la rue.
De l’esprit constructif du Muralisme mexicain
David Alfaro Siqueiros, José Clemente Orozco et Diego Rivera, les trois grandes figures reconnues du Muralisme mexicain, voulaient rapporter l’art au peuple, en faire un bien public en privilégiant "l’esprit constructif sur l’esprit décoratif et analytique où l’essentiel, la base de l’œuvre d’art, reposerait sur la structure géométrale de la forme construite, sur une armature consistante pour l’humaniser." [1]. La symbolique, la forme, la couleur et la composition, reprises des peintres et des sculpteurs indiens (mayas, aztèques, incas...) [2] se conjuguent alors dans un art naïf, politico-graphique, sans "littérature", directement suggestif et accessible à tous… y compris aux analphabètes.
Pour le poète surréaliste Philippe Soupault : "l’art des peintres mexicains n’est pas aux amateurs ni aux musées. Il s’adresse à la foule, au peuple qui en subit directement les suggestions ; autrement dit il n’exige pas le concours ni le truchement d’intermédiaires, critiques ou professeurs. "
Le Muralisme comme expression communaliste
Loin de se cantonner au Mexique, il existe à travers le monde d’autres expériences de peintures murales qui affichent leurs revendications sociales et politiques…
Dans les années 1930, aux États-Unis, le gouvernement lance le programme "Works of Public Art" qui, en peignant les bâtiments publics, diffuse les idées du New Deal.
En Europe, le fascisme déploie sa propagande politique sur les murs des villes.
En 1967, l’artiste américain William Wolker peint dans le ghetto noir de Chicago "The wall of respect", un hommage à la communauté noire. Et les murales se multiplient dans les quartiers populaires, réalisés par des artistes noirs, portoricains et chicanos. "Mission District", le quartier mexicain de San Francisco, sera entièrement couvert de peintures, une référence pour la collectivité.
En France, Ernest Pignon réalise de gigantesques sérigraphies qu’il colle sur les murs de lieux marqués par des luttes politiques.
Dès 1971, les Brigades muralistes chiliennes soutiennent le gouvernement de Salvador Allende.
En Irlande du Nord, les murs racontent l’IRA et le "dimanche sanglant" de 1972.
Le mouvement "Set Setal", né en 1990 à Dakar, porté par l’engagement d’associations de la ville, donne son point de vue sur la vie sociale urbaine.
Et puis Zoo Project qui, après avoir réalisé de grandes fresques politiques dans le Nord-est parisien, part à Tunis et peint sur des cartons des portraits grandeur nature de victimes de la révolution de 2010, qu’il expose dans les rues.
Sans oublier Banksy…
Mais une peinture "Murale", c’est comme une blague. S’il faut l’expliquer c’est qu’elle n’est pas bonne.…
Dans la galerie à ciel ouvert qu’est le XIIIème arrondissement de Paris, rue Esquirol, on peut voir une peinture aux figurations militaires…
Un titre, "La Nueve de la 2ème DB" et trois images. Sur la première, un véhicule militaire devant un édifice officiel et une bulle de texte : "En 36, si nous avions eu le même matériel, nous aurions écrasé Franco". En dessous, la date du 24 aout 1944 et les noms de Guadalajara, Montmirail, Champaubert, et Romilly.
Sur la deuxième image, un char place de la république à Paris et un slogan : "Oui à la république sociale. Non au fascisme !", une légende évoquant des résistants.
En dernière image, un blindé sur les Champs Élysées et un texte :"aujourd’hui Paris, demain Berlin, après demain Madrid ?"…
Et tout en bas, comme pour "justifier" ou "compléter" cet ensemble hétérogène, une évocation de "Mai 1945", des "républicains espagnols" et de leur exil…
Marcel Duchamp déclarait que, "le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste". Il est nécessaire de s’informer sur cette peinture pour en "lire" le sens.
Initiée par l’Association du 24 août 1944, sa vocation est de "rendre hommage aux hommes de la Nueve", les "oubliés de la victoire". Pour son auteur, Juan Chica Ventura ("assisté" par Anne Aubert, une artiste peintre confirmée), l’idée "était de faire une espèce de triptyque, genre bande dessinée. Avec trois dessins et trois petits commentaires qui figurent trois moments de la libération de Paris" (cf. franceculture.fr).
Alors, fort de ces précisions ou indices, le quidam pourra / devra donc voir, non plus une sorte de rébus célébrant un quelconque fait d’arme, mais l’évocation d’hommes, "des espagnols, des étrangers, des combattants antifascistes", pour la plus part anarchistes, qui participèrent à la libération de Paris au sein d’une division de la 2ème DB (entrée par la Porte d’Italie). "Guadalajara, Montmirail, Champaubert, et Romilly" étaient les noms d’un Half-Track et de trois chars. Après leurs luttes en Espagne pour la construction d’une révolution sociale et leurs combats contre Franco et les nazis, ces hommes de la Nueve, qui escortèrent le Général de Gaulle lors de sa descente des Champs-Élysées, aspiraient à retraverser les Pyrénées pour renverser la dictature du Caudillo avec l’aide des alliés… CQFD.
La plaque bilingue apposée en 2020, à coté de celle inaugurée en 2004, rappelle les "80 ans de l’exil des républicains espagnols" [3] et le "75è anniversaire de la libération de Paris". Dans un remerciement aux "financeurs" de cette fresque, outre la ville de Paris et diverses associations du souvenir, on notera la "participation" du Ministère de la Justice espagnol qui, par la voix de sa représentante, Dolores Delgado, rappelait en 2019 que "les hommes de la Nueve auraient pu défendre les valeurs de la constitution espagnole de 1978", constitution qui a pourtant gardé une partie de son "héritage" franquiste … [4]
Bref, on est bien loin du lyrisme et de l’art public des "trois grands du muralisme" qui, par leur maitrise du trait, de la composition et des couleurs, savaient imager la "Révolution et le Social" et le faire comprendre au plus grand nombre sans recourir à des "explications de texte".
Et pour que les murs des villes nous parlent encore, le muralisme politique contemporain demande de nouvelles exigences d’écriture…
Source : http://www.autrefutur.net