La Ley Mordaza ne sera pas réformée

mardi 14 mars 2023, par Pascual

Réforme de la Ley Mordaza (la loi bâillon) : game over

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Le refus du PSOE de réformer les articles qui rerésentent un tiers des sanctions de la Ley Mordaza ou les articles faits pour interdire les retours à chaud des immigrés expulsés met fin au parcours du projet dans cette législature.

Il n’y aura pas de réforme de la loi de 2015 sur la sécurité des citoyens, connue sous le nom de Ley Mordaza de l’ère Rajoy, qui institue la « burorrepresión »  [1]), légalise les retours à chaud d’immigrants dans une disposition additionnelle ou interdit l’enregistrement d’images de policiers pendant leur service. L’une des principales promesses des deux partis de gouvernement a définitivement échoué ce matin lors du débat en commission de l’intérieur, le rapport ayant été rejeté avec les votes négatifs d’EH Bildu (Réunir le pays basque) et d’ERC (Gauche républicaine catalane).

Quatre aspects qui n’étaient pas présents dans le rapport présenté se sont opposés aux groupes en faveur d’une réforme progressive des articles introduits en 2015 : le maintien de la présomption de véracité des policiers, la non-interdiction de l’utilisation des balles en caoutchouc, la non-objectivation des accusations de désobéissance, l’élimination ou l’objectivation des sanctions pour manque de respect envers les agents, et l’interdiction des retours à chaud des immigrés à la frontière.

Finalement, le PSOE, Unidas Podemos et le PNV (parti natinaliste basque), d’une part, et EH Bildu et ERC, d’autre part, ne sont pas parvenus à un accord. Il fallait au moins une abstention de la part d’EH Bildu et d’ERC pour que le texte passe en séance plénière du Congrès aujourd’hui, afin que les votes négatifs des groupes de droite ne soient pas majoritaires. Ce vote négatif – ou le refus du PSOE de poursuivre le débat sur le texte en y incluant une réforme des quatre points mentionnés – met fin au voyage du projet, au moins pendant cette législature. Cela ne signifie pas que toutes les dispositions de la loi de 2015 pourront être appliquées et défendues devant les tribunaux : en particulier, en 2020, la Cour constitutionnelle avait déjà déclaré inconstitutionnelle la revendication de ne pas pouvoir enregistrer les policiers pendant leur service. Mais dans l’ensemble, la Ley Mordaza restera en vigueur au moins jusqu’au début de la prochaine législature, en 2024. 

L’une des principales promesses des deux partis de gouvernement a été définitivement bloquée ce matin lors du débat au sein de la commission de l’intérieur.
Le représentant de Unidas Podemos dans les négociations, Enrique Santiago, a qualifié de « drame » la fin du projet de réforme après un an de négociations. Santiago a défendu le fait que « les éléments les plus nocifs de la réforme de 2015 » avaient déjà été éliminés, en référence aux dispositions contre le droit de manifester, le montant des sanctions et l’enregistrement des images des agents, sur lesquelles le bloc progressiste avait déjà conclu des accords. Selon Santiago, des éléments tels que les retours à chaud ou l’utilisation de balles en caoutchouc ne relèvent pas strictement de la loi sur la sécurité citoyenne. Cependant, « pour éviter que Jusapol (le syndicat d’extrême-droite de la police) et l’extrême droite ne nous laissent avec cette loi de sécurité citoyenne pour cinq années supplémentaires », Santiago a fait allusion à la présentation la semaine dernière de quatre amendements de compromis liés à ces points de discussion, qui ont été rejetés par le PSOE.

EH Bildu et ERC, ainsi que les organisations citoyennes présentes dans la campagne No Somos Delito (Nous ne sommes pas un délit), ne sont pas d’accord pour considérer le maintien de la présomption de véracité ou la non-objectivation des actions de désobéissance comme des questions secondaires. EH Bildu a reproché au PSOE de ne pas être parvenu à un accord sur les « lignes rouges » de la réforme et avait déjà annoncé son opposition à une « réforme légère » : « le gouvernement a promis d’abroger la Ley Mordaza, pas de la modifier légèrement », ont-ils souligné. Les deux parties ont présenté des amendements de compromis pour tenter de sauver les négociations, mais ils ont été rejetés. Selon des sources d’EH Bildu, qui a présenté les amendements de compromis séparément, l’objectif était de « démontrer, en les votant un par un, que le PSOE ne les soutient pas et les rejette ».

Avant le débat et le vote, le porte-parole de Podemos, Pablo Echenique, a également blâmé le PSOE pour le résultat. « Malheureusement, le PSOE n’a pas voulu faire un dernier effort, et aujourd’hui l’abrogation de la Ley Mordaza risque de tomber. C’est une très mauvaise nouvelle pour les droits civils des citoyens » a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse au Congrès. 

Selon les données du ministère de l’intérieur, entre 2015 et 2020, plus d’un tiers des sanctions prévues par la loi étaient précisément dues à des accusations de résistance ou de désobéissance, et de manque de respect envers les agents. Au cours de la même période, l’État a perçu 815 millions d’euros d’amendes au titre de la Ley Mordaza.

Les organisations sociales qui ont fait pression pour la réforme de la loi sur la sécurité citoyenne (Amnesty International, No Somos Delito, Greenpeace, IRIDIA, Defender a quien Defiende, Ris, Novact et Legal Sol) ont défini dans une déclaration commune la fin de la procédure parlementaire de la réforme comme une « opportunité manquée et une mauvaise nouvelle pour les droits de l’homme en Espagne ». La déclaration affirme qu’il est « incontestable » que des « aspects clés » de la loi ont atteint « le vote d’aujourd’hui sans les modifications nécessaires », bien qu’elle nuance sur le fait qu’« il y a eu un travail de négociations et d’accords qui ont représenté une avancée reconnaissable en matière de droits, et il y a également eu des propositions avancées pour continuer à négocier et à corriger ces aspects clés et les plus nocifs de la loi ».

Amnesty International a rappelé la veille que « la société civile apprécie le travail du rapport, mais les aspects les plus nocifs de la loi (36.6, 37.4, le rejet à la frontière et l’utilisation de matériel anti-émeute) doivent être révisés conformément aux normes internationales ». Amnesty a présenté mardi un rapport demandant l’interdiction de l’utilisation de balles en caoutchouc et d’autres équipements anti-émeutes, tant en Espagne qu’au niveau international.

Depuis le centre Iridia, l’avocat Andrés García Berrio a déploré « l’opportunité perdue » que représente la non-approbation d’une « réforme substantielle » de la Ley Mordaza, et a reproché au ministre de l’intérieur, Fernando Grande-Marlaska, et à son parti, le PSOE, d’avoir « empêché que la loi cesse effectivement d’être une loi qui viole les droits ». M. García Berrio a défini les quatre aspects qui ont motivé le rejet par EH Bildu et ERC de l’avis discuté aujourd’hui en commission des affaires intérieures comme « des éléments substantiels et clés pour comprendre notre système de libertés et de droits ». Il a également jugé « surprenante » la décision du PSOE de soumettre l’avis du rapport au vote de la commission des affaires intérieures aujourd’hui sans être parvenu à un accord préalable avec les partis qui détiennent la majorité progressiste au Congrès des députés. 

Diego Sanz Paratcha

Article publié sur le site d’information El Salto Diario : 
https://www.elsaltodiario.com


[1La répression bureaucratique ou répression de basse intensité est une forme de répression basée sur des sanctions administratives indiscriminées à l’encontre d’individus pour l’exercice de leurs droits fondamentaux.