Miguel Campos Delgado. Anarchiste de la Nueve

lundi 8 novembre 2021, par Pascual

Dans un billet précédent, j’ai raconté quelques-uns des tenants et aboutissants et des anecdotes sur la fameuse neuvième compagnie de la deuxième DB de Leclerc, les Espagnols qui ont libéré Paris et qui ont fini dans le nid d’aigle d’Hitler. Aujourd’hui, je me consacre à l’un d’entre eux en particulier, aussi célèbre qu’inconnu, sur lequel ont été écrits d’excellents romans graphiques, comme La Nueve. Les républicains espagnols qui ont libéré Paris de Paco Roca, ou de petites biographies peu précises et avec de nombreuses suppositions, car nous ne connaissons même pas les véritables noms des membres de la Nueve. Car il est bien connu que la plupart des Espagnols de la Nueve ont changé de nom lorsqu’ils se sont engagés.

Nous le connaissons sous le nom de Miguel Campos el Canario, il était originaire de l’île de Tenerife. J’ai trouvé une information écrite par sa fille dans le journal La Opinión de Tenerife. Nom complet Miguel Campos Delgado, né à Guimar. Avant la Guerre civile, nous savons seulement qu’il était un militant des Jeunesses libertaires de l’île et que peu après le début de la guerre, son père et un oncle ont été emprisonnés dans la prison de Hacho, à Ceuta. De toutes les rumeurs concernant sa participation à la colonne Durruti, je n’ai pas été en mesure de trouver une seule référence. Ce que nous savons, grâce à l’anarchiste d’Estrémadure Olegario Pachón, responsable de la 104e brigade mixte qui, en 1938, fut déplacée en Catalogne et intégrée à la 31e division stationnée à Balaguer, ce n’est qu’au printemps de cette année-là, alors que le front était stationné à Guisona, Lérida, une nuit, trois soldats nationalistes de la 54e division changèrent de camp, l’un d’eux avec son fusil. Ce déserteur n’était autre que Miguel Campos, que Pachón nomme dans son livre el Canario. Pourquoi se souvient-il de lui, parce qu’un mois plus tard, les deux autres soldats (Campos les a rencontrés dans le no man’s land, du front, car il est parti de lui-même) sont retournés dans les rangs fascistes, et avant que el Canario ne sache quoi que ce soit, il était en état d’arrestation, accusé d’espionnage et avec un peloton d’exécution qui l’attendait dans un avenir proche. Heureusement, les interrogatoires de la nuit de son transfert dans les rangs républicains ont été menés par Olegario Pachón, où il a déclaré que les deux autres venaient d’un côté et lui de l’autre. Pachón a intercédé pour Campos et tout est rentré dans l’ordre. De plus, se souvient Pachón, étant donné l’esprit d’initiative et les qualités de chef dont a fait preuve el Canario, il a été affecté à l’une des écoles de guerre, et a terminé la guerre comme commissaire de bataillon.

Olegario Pachón el Extremeño, responsable de la 104e Brigade

Ce que l’on sait ensuite sur lui, c’est qu’il faisait partie des milliers de personnes piégées dans l’immense souricière qu’était Alicante à la fin de la guerre civile, à l’exception heureuse qu’il a obtenu une place sur le Stanbrook, le dernier bateau à quitter ce port, ce qui lui a sûrement épargné beaucoup de souffrances et de scènes dantesques. Ses futurs camarades tels que Amado Granell, Jesús Abenza et Federico Moreno ont navigué sur le même bateau.
Sa prochaine destination était le camp de concentration de Djelfa en Algérie, un camp de mémoire infâme pour les républicains espagnols. Après leur libération, de nombreux prisonniers, surtout des militants de la CNT, ont été enrôlés dans la Légion étrangère, parmi lesquels, outre Campos, Moreno et Manuel Lozano. Ils sont envoyés au Cameroun où ils désertent et décident de s’engager dans les Corps Libres d’Afrique de Leclerc. Il s’est distingué lors de la campagne de Tunisie, non seulement sur le plan militaire, mais aussi en faisant déserter de nombreux compatriotes qui combattaient sous le drapeau de la France collaborationniste de Pétain pour rejoindre les unités de Leclerc et de la France libre de Gaulle. Campos réussit à courtiser les Américains, qui lui prêtèrent d’abord une jeep, puis il obtint des uniformes et finit même par disposer d’une flottille de camions pour transporter les Espagnols de la Légion étrangère vers les troupes de Leclerc en échange de la promesse de former des unités de combat prêtes à partir en Espagne pour combattre le régime si les Alliés en avaient besoin.

Avec la deuxième division blindée créée et armée par les Américains au Maroc, ils sonyt partis vers l’Europe, où ils ont fini par débarquer sur la plage normande d’Omaha. Campos se distingua une nouvelle fois par ses missions risquées derrière les lignes ennemies. Il fut promu chef de la troisième section et décoré de médailles et de citations dans lesquelles il est décrit comme « chef de section aux qualités de combat extraordinaires ». Parmi ses exploits, citons son infiltration le 14 août 1944 derrière les lignes ennemies pour revenir avec 129 prisonniers allemands, 8 Américains libérés, 13 voitures et une remorque. En Alsace, le 16 septembre à Chatel, il fut décoré de la Croix de guerre avec palme pour sa contribution aux combats.

La Nueve pendant son séjour en Angleterre, printemps 1944

Lorsque la Nueve est arrivée à Paris le 24 août, une fois la ville libérée, l’une des premières choses qu’il a faites a été de rencontrer le comité la CNT de la ville. C’est là, entre autres, qu’il rencontra Laureano Cerrada, auparavant, il avait déjà croisé lors des combats des guérilleros tels que Manuel Huet, Joaquín Blesa et Olegario Pachón, qu’il embrassa dès qu’il le reconnut, tout en criant à Martín Bernal qu’il s’agissait de l’homme dont il avait tant parlé, celui qui l’avait sauvé des balles. Lors de ces réunions, outre le fait de s’enquérir de l’éventuelle incorporation des membres de la Nueve dans des unités de guérilla, ce dont il fut découragé en raison du fort contrôle communiste sur la plupart d’entre elles, l’idée de collecter des armes surgit. Campos, avec l’aide du capitaine Dronne, incorpora à la compagnie un half-track supplémentaire, il avait été obtenu par ce dernier, pour le placer à l’arrière de la troisième section. Le halftrack, baptisé Kanguro, était doté d’un équipage de résistants anarchistes, ils passèrent huit semaines à rechercher et à détourner des armes légères qui étaient immédiatement dirigées vers la CNT parisienne. Pendant ces semaines, ils sont même entrés en combat lors de la célèbre bataille des Ardennes. Finalement, après avoir donné une permission aux six résistants infiltrés de rentrer à Paris, il se débarrassa du Kanguro par quelques coups de canon et peu après, à la mi-décembre, lors d’une action de guerre, c’est Campos lui-même qui disparut.

La Nueve entre dans Paris

Pour savoir ce qu’est devenu el Canario à partir de ce moment-là, certains le croyaient mort, d’autres pensaient qu’il avait rejoint les groupes de guérilla en direction de l’Espagne, certains dirent qu’il était parti en Afrique. Paco Roca, lui donna une fin tranquille et belle dans son roman graphique et nous devons aussi suivre les écrits de Pons i Prades. Campos avait une obsession, celle d’en finir avec le dictateur Franco, qu’il partageait avec l’aile conspiratrice dure de la CNT en exil. Nous avons des informations sur des réunions parisiennes en 1945 sur le sujet auxquelles ont participé, entre autres, Laureano Cerrada, Olegario Pachón, Manolo Huet, Joaquín Blesa, Manuel Soto et Juan Zafón. El Canario avait une idée sur la manière de procéder, car au début de la guerre civile, il avait des proches emprisonnés dans la prison de Ceuta qui lui avaient dit qu’il y avait aussi des Marocains emprisonnés là-bas pour avoir essayé de soulever une partie des Kabilas contre les franquistes afin d’éviter que leur peuple ne soit utilisé comme chair à canon et que certains d’entre eux avaient des contacts avec des membres de la Garde maure. Il s’agissait de trouver certains d’entre eux qui pouvaient avoir des parents réprimés ou qui pouvaient être achetés et avaient des contacts étroits avec le dictateur. Campos a également rencontré, par l’intermédiaire de Manuel Huet, Robert Terres le Père, membre des services secrets français et collaborateur du réseau Ponzán, il recherchait des collaborateurs nazis et, profitant du fait qu’el Canario retournait dans ses îles, il lui demanda de les surveiller.

Un an plus tard, les conspirateurs contre Franco étaient de nouveau à Paris, tous sauf Campos. Pachón et Soto sont partis à sa recherche aux îles Canaries, mais il avait déjà fait le grand saut. Ils ont rencontré sa famille, qui leur a dit qu’ils ne l’avaient pas vu depuis des mois, mais qu’ils avaient reçu deux lettres de lui, l’une de Casablanca et la seconde de Tanger, et que tout se passait pour lui « sans problème ». Ils ont également appris plus tard que Campos avait rencontré au Maroc l’ancien guérillero français, Manuel Gutiérrez Pierre de Castro, qui allait disparaître plus tard, plus que probablement aux mains des agents de Mohammed V. Malheureusement, c’est la dernière fois que nous avons entendu parler d’el Canario, ce qui suggère une fin similaire à celle de Pierre de Castro.

En guise de conclusion de cet article, nous citerons une phrase de notre protagoniste, qui à notre et à son grand regret, ne s’est pas réalisée : « Franco doit mourir de la main des fils de ceux qu’il a tués lors de la guerre du Rift ou dans notre guerre... »

Imanol

Sources : La Nueve. Les républicains espagnols qui ont libéré Paris (Evelyn Mesquida), Recuerdos y consideraciones de los tiempos heroicos (Olegario pachón), Los senderos de la libertad (Pons i Prades), Republicanos españoles en la 2ª guerra mundial (Pons i Prades), Los surcos del azar (Paco Roca) et archives personnelles de Pons i Prades à l’ANC de Sant Cugat.

P.S. Et la curiosité, en plongeant dans les archives de Pons i Prades je trouve cette photo et la correspondance entre l’ancien guérillero et historien et un journaliste des îles Canaries dont je ne me souviens plus du nom. Ils commentaient la photo de Victoria Kent à Paris prise avec la Nueve et mentionnaient, entre interrogations et affirmations, que l’homme assis à gauche de Victoria, vêtue d’une robe claire, est Miguel Campos. Apparait aussi l’autre Canarien, José Padrón, des quatre du deuxième rang, il est le plus à droite. Je suis un piètre physionomiste, mais c’est là que nous laisserons planer le doute...

Voici la photographie de la visite de Victoria Kent, Miguel Campos se trouverait à sa gauche